Je ne sais pas par où commencer, ni comment vous parlez de moi. Je ne suis pas d'une nature très ouverte, introvertie même, bien trop secrète. Ma mère me comparait souvent à la froideur d'un hiver, piquante et à la fois douce, mystérieuse et secrète. Ma mère... Peut-être devrais-je parler d'elle ? De cette femme qui m'apprit le respect, la tolérance, l'amour de mon prochain. Cette mère qui me guida dans les immensités sauvages, qui m'apprit à chasser, à pêcher, à me débrouiller et ce, qu'importe les situations dans lesquelles je pourrais me retrouver. Ma mère, cette vaillante qui du m'élever seule, qui me mit au monde seule, qui battit sa ferme et sa réputation seule. C'était une femme solide et sévère, son regard bleu, épineux, glaçait les sangs lorsque le feu jaillissait de ses pupilles. Connue pour son franc parlée, ses produits délicieux, elle était aussi nommée "la folle du village." Parce qu'elle refusait la civilisation, parce qu'elle avait mit au monde une petite fille fragile, née avant l'heure dans une vulgaire ferme où seule le salon demeurait chauffé par le foyer familial une fois le froid venu.

Nous vivions comme les fermiers du 19ème siècle et, si cela me pesa parfois, pour rien au monde je n'échangerais ma vie contre une autre. J'ai grandit libre, je savais monter à cheval avant de savoir marcher et me débrouillais avec un fusil alors que j'approchais à peine mes 5 ans. Grâce à cette vie, je suis devenue un être solide, débrouillarde, intelligente et vive. Cela ne parait pas pourtant, j'ai l'air d'une petite chose fragile, perdue et, pourtant, l'intensité de mon regard verdoyant laisse présager l'ardeur de mon caractère. Ma mère me comparait toujours aux eaux calmes du lac près duquel nous habitions. Lisse, douce, aimante et pourtant, capable des colères les plus violentes lorsque que je jugeais quelque chose d'insupportable. Enfin... Je m'égare, il faut dire que je suis nostalgique, triste un peu bien que mes yeux ne produisent plus de larmes depuis une éternité.
Ma mère est morte il y a à présent deux mois. Je ne pensais pas que quoi que ce soit puisse un jour mettre à terre cette montagne et pourtant, une chose, une maladie rongeait ses poumons depuis des années maintenant.
Un cancer, maladie que je jugeais jusqu'ici inexistante, que ce n'était là qu'une invention des quelques touristes venant parfois se perdre dans nos belles montagnes. Désillusion. Maman et morte et j'ai enterré son corps au sommet d'une montagne. J'ai reprit sa ferme, désireuse de poursuivre son travaille afin qu'elle soit fière de moi, quand bien même la mort nous sépare à présent, elle demeure vibrante en mon cœur. La mort ne nous sépare jamais véritablement, c'est l'oubli qui menace la disparition. Rien d'autre que l'oubli.

Je suis donc une orpheline. Et cette nouvelle étiquette me dérange tant il m'arrive de me sentir seule, véritablement et totalement seule. Je suis la dernière de la lignée Sawers. Mon père est un inconnu, un voyageur qui engrossa ma mère et disparu aussitôt. Ma mère n'a jamais eu aucune famille, il faut dire que sa maladie semble passer de poumons en poumons, de génération en génération. Cependant, sa mort m'a donné l'envie d'apprendre, l'envie de lire, de connaître autre chose que mon monde. Ma mère n'a jamais prit la peine de m'inculquer le savoir des mots. Selon elle, le contenu des journaux, des livres n'étaient rien d'autres qu'un ramassis d'idioties, de rêves, d"utopies ou de mensonge. Elle ne me voulait pas rêveuse, elle me voulait pragmatique, encrée dans le réel, brute, à son image.
J'avoue ne pas réellement comprendre ce besoin. Ma mère était pourtant porteuse de savoir. Peut-être pas une érudit néanmoins, son langage a toujours été appropriée, polie, correct, absent du moindre accent campagnard ou de l'argot de certains de nos voisins de Buffalo.
Par conséquence, je parle relativement bien et, au grand damne de ma mère, je suis atrocement curieuse. J'ai besoin de comprendre le monde qui m'entour, quelle était cette maladie qui l'a ravageait et, surtout, comment lutter contre elle. Je suis une très bonne guérisseuse pourtant, je connais les plantes qui soignent mais ce fameux cancer... Inconnu effroyable qui m'effraie et, ce qui m'effraie, je le combat.

Mon Dieu... Plus je m'écoute et plus me trouve stupide et inintéressante. Peut-être est-ce pour cela que je suis aussi timide et effacée. Je ne suis jamais trouvée un véritable intérêt, je me sens fade, lisse, bien trop plate pour éveiller l'intérêt de qui que se soit. Ma mère me détesterait de penser ainsi. Pour elle, le simple fait d'être femme devait nous interdire de faire des sentiments. Les sentiments tuent disait-elle et je comprends à présent qu'elle à passer sa vie à ignorer les tourments de son âme.
Moi, je n'y parviens pas et, à présent que je n'ai plus aucun exemple à suivre il m'est bien difficile de me trouver une raison de continuer à mener cette vie. La seule chose à laquelle je tiens véritablement hormis ma liberté reste Sheitan. Mon étalon sauvage rencontré au hasard d'un chemin, menacé par un chat des montagnes. Un coup de feu et l'animal abandonna sa proie. Je l'ai sauvé, nous, nous sommes trouvés et j'ai la délicieuse sensation que l'âme de cet animal est étroitement lié à la mienne.

Les animaux... Je possède un véritable don avec eux. Je parviens à lier à contact avec n'importe quel être vivant sauf avec ceux de ma propre race. Paradoxe étrange qui, pourtant, n'est pas dénué de sens. L'homme est un loup pour l'homme. C'est souvent ce que me disais ma mère lorsqu'elle me parlait de l'importance de demeurer loin de toute civilisation.
Je vous laisse imaginer son discours lorsqu'il s'agissait de parler garçon.
Pour elle, les hommes sont des pervers seulement attaché à détourner le cœur des femmes, rien d'autre, un danger à fuir. Autant vous dire que je n'ai jamais eu le moindre petit ami. Mes lèvres n'ont jamais embrassées d'autres lèvres et quant au partage de la nudité... Mes joues se parent de rouge lorsque je pense à cela. Pourtant, il y a des jours où je souhaiterais me sentir femme, me sentir jolie et prendre soin de moi comme toutes les filles de mon âge. Mais, ça non plus, je ne sais pas faire et j'aurais la sensation de trahir ma mère si je venais à opérer des transformations dans ma manière d'être, de vivre et d'exister.

Voilà. Je crois avoir fait le tour de ce que je suis, de ce que fus et de ce qu'est ma vie... Peut-être aurons nous la chance de nous rencontrer, je crois n'aspirer qu'à cela, à une vraie rencontre...