La vie à Buffalo avait fini de le conquérir, alors qu'il tentait pourtant de lutter une toute dernière fois, se persuadant qu'il faudrait bientôt quitter le coin pour aller se perdre dans un autre. La veille encore il avait sorti sa carte des Etats-Unis pour cocher les villes qui se trouvaient sur son chemin, pour se diriger il ne savait trop où, avant de réaliser qu'il était trop attaché pour fuir. Rectification. Ce n'était pas la ville qui avait conquis son coeur, son âme et lui triturer les méninges, c'était ses habitants et l'influence qu'ils avaient fini par avoir sur sa propre personne. Il n'était pas un homme meilleur, il n'avait d'ailleurs aucune espèce d'idée sur la signification même de ces deux mots qu'il trouvait bien différents, mais il devenait un homme plus agréable. Si on fermait les yeux sur le fait qu'il râlait dès que l'occasion lui était donnée de le faire. C'eut été mentir de dire que la grande ville et son effervescence quotidienne ne lui manquait pas, mais l'effet de manque se faisait bien moins oppressant. Gabriel s'était trouvé des repères qui le contentait, des personnes qui lui offraient une compagnie fort agréable et même s'il n'était pas certain de vouloir passer le restant de ses jours, jusqu'à sa mort, ici.. Et bien pour l'instant ce qu'il possédait lui suffisait amplement. "A plus tard mec" même son colocataire faisait parti intégrante de cette routine dont il s'était épris, quand il avait eu ce désir ardent de liberté dès son adolescence. Même s'il n'était pas forcément le plus jovial et souriant, Eckhart lui apportait une stabilité dans sa vie secouée qu'il ne pouvait rejeter. C'était tout de même plus agréable de rentrer chez soi le soir pour trouver quelqu'un, qui acceptait quelques échanges verbaux avec vous, que faire face au silence et à soi-même. Pour cela il lui suffisait de se regarder dans le miroir et il n'était pas suffisamment narcissique pour s'y admirer à longueur de temps, même si on pouvait parfois le surprendre à chercher son reflet dans un verre qu'il servait au saloon.

La porte claquée dans son dos il alluma une cigarette, d'instinct, avec une fébrilité qui lui donnait des airs d'addict. C'était plus une habitude, un tic, qu'un véritable besoin. Parce qu'il s'était habitué au goût de tabac sur sa langue après toutes ces années à tirer sur une clope, quand au final il n'appréciait même pas vraiment la chose. Sans doute encore un truc à fouiller dans son passé, pour comprendre, mais il n'était pas psy, alors il laisserait peut être le soin à Wyatt de lui expliquer d'où lui venait ce truc de s'en griller une dès lors qu'il se retrouvait seul, puisqu'on ne le voyait jamais fumer en présence des autres. Une main dans les cheveux, il s'arrêta devant la marchande de fruits et légumes, s'offrit un abricot et une banane, pour reprendre sa route vers le saloon, passant par les stands de la fête forraine. Allez savoir pourquoi mais c'était sûrement l'un de ses endroits préférés, qu'ils soient ouverts pour la fête ou fermés le reste de la saison, mais pas seulement parce qu'il avait fini en cellule de dégrisement avec son psy dégénéré au cours d'un lancé de tartes bien imbibé.. Seulement parce que c'était le lieu de ralliement de toute la ville, où chacun était présent sans nom, sans unité, sans clan. On était anonyme. Et l'anonymat c'était devenue quelque chose que Gabriel chérissait plus que tout, ce qu'on pouvait saisir quand on savait que sa famille avait défrayé la chronique bien des années auparavant, du côté d'Helena dans le Montana, pour une affaire funeste et sordide. Ce n'était pas là des choses auxquelles il fallait penser, il croqua dans sa pomme, la clope entre les doigts, et passa à autre chose comme toujours. On pouvait le féliciter pour ça; être capable de rayer de sa vie et de ses pensées, la chose la plus déprimante.

Et en terme de déprime, voilà que s'offrait à lui l'exemple type de la réflexion triste. Elle était assise sur un banc et ce ne fut pas tant sa posture sur le bois qui attira son oeil, mais l'air bien trop pensif plaqué sur son visage. Lily Fowler. S'il la connaissait c'était uniquement de nom et par le biais de Dell qui bossait comme serveuse dans le saloon où il était barman. Il la savait policière, pour l'avoir déjà croisé en uniforme, mais sortit de tout ça Gabriel n'avait jamais vraiment pris le temps d'aller au-delà. "Un abricot mam'selle Fowler ? il tendit le fruit en affichant un air niais, ou sot selon votre préférence, et sourit avant d'écraser le bout de sa clope sur le bord d'une poubelle à proximité, l'y laissant mourir au fond, pour revenir devant la jeune fille. Elle ne ressemblait absolument pas à Dell, si ce n'était les cheveux blonds. Il avait beau apprécier Adelaide, il ne pouvait nier qu'elle possédait un aspect qui n'invitait pas vraiment à la sympathie ou la tendresse, elle paraissait plus froide qu'autre chose et les airs méchants qu'elle pouvait se donner n'étaient, aux yeux de Gabriel, ni plus ni moins que des tentatives désespérées de se sortir du lot.. Bien qu'au final il avait tendance à trouver cela plutôt fatigant ce besoin d'être blessant, sans toutefois trop y parvenir pour lui, alors que Lily semblait plus avenante et ce malgré ses traits vissés dans une moue réfléchie et perturbée. Presque déçue. "Un ennui?" Sa bonne volonté et conscience le perdraient sans doute, mais sous ses airs d'emmerdeur boudeur Gabriel avait la main sur le coeur.. Suffisait juste de bien gratter la couche.

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