C'est en février que j'ai vu le jour. Ma mère n'a pas eu le temps d'arriver au cabinet du médecin que j'avais déjà décidé de pointer le bout de mon nez. Et mon frère était tout content. De six ans mon aîné, voir une petite soeur lui plaisait beaucoup. Il était impatient. « Allez ... maman c'est quand que t'accouches!? » demandait-il comme un vieux disque usé.  Au moins tout le monde savait que pour Max Hopkins allait avoir une petite soeur. « Ca y est! Elle est née! MA SOEUR EST NEE EILEEN SIERRA HOPKINS EST NEEEEEEEE! » avait il hurlé dans toutes les rues de Buffalo à qui voulait bien l'entendre.

• • •

Je suis née avec un crayon dans la main. J'ai toujours adoré ça. j'ai toujours été en train de crayonner sur tout ce que je pouvais trouver. Tout ce qui pouvait me passer sous la main. « OH MON DIEU! EILEEN! » je me retournais vers eux, la lèvre tremblotante, je n'avais que quatre ans, mais je venais de comprendre que dessiner à la gouache sur les murs du salon blancs ... c'était pas la meilleure de mes idées. « Qu'est ce que tu as fait! MAAAAAX! » et mon frère de débarquer. Il était sensé me surveiller bien sûr. « Oui, quoi!? » mais il vit tout de suite ce dont il s'agissait et il se mit à éclater de rire. C'était terriblement rigolo. « Au lieu de rire bêtement, aide nous a nettoyer tout ça.  »

• • •

« Tu dessines quoi? » me demandait fréquemment Max, mais il n'attendait jamais ma réponse pour me piquer ma feuille et constater par lui même. J'avais grandi. J'aimais Buffalo, j'étais contente ici. Mais il me manquait quelque chose. Un ailleurs. Besoin d'air. « C'est joli, c'est quoi? » je lui montrais la carte postale de France que j'avais reçu d'une amie. « C'est la Tour Eiffel, c'est joli hein!  » dis-je doucement en me décalant sur le lit pour le laisser venir me rejoindre. « Un jour j'irai là bas!  » il me regarda, les yeux remplis d'une fierté incommensurable. « Tu sera la plus grande artiste là bas! »

Je sais plus d’où est venue l'idée, mais je sais juste que Max était jaloux. Il était content que je sois sa confidente tout le temps. « Mais allez ça sert à rien. Et puis c'est stupide ce truc de nom de ville, tu sais même pas qui c'est. Aussi bien c'est un gros pervers qui t'écrit, aussi bien il se tripote la noui-  » « MAX! » « non mais sans déconner Eileen, c'est quoi ça. "Paris" ? » dit il en singeant le nom de la ville. « Mais enfin, soit un peu moins naïve Eileen, tu ne sais rien de lui! » je soupirais doucement, le repoussais hors de ma chambre et lui claquais la porte au nez.

• • •

Elle avait été difficile cette journée. J'étais nulle en maths et c'était bien sûr pour ça que la prof s'acharnait sur moi. J'avais réussi à trouer mes chaussures en marchant sur un gros caillou. Et puis bien sûr, Max avait mangé toutes les céréales. Mais elle était là à mon retour. Sa lettre. Il m'avait répondu. Je ne connaissais pas son prénom, vrai. Mais j'en avais pas besoin, je connaissais Paris, et il connaissait Buffalo. Le mystère c'était une chose intéressante et qui renforçait ce lien particulier entre nous. J'avais pris une tartine à la confiture avec moi et m'étais enfermée dans ma chambre pour pouvoir religieusement lire sa lettre. j'en ai savouré chaque mot. Et je lui ai répondu dans la foulée.

J'avais vingt quatre ans J'étais débarquée fraichement de l'aéroport et je ne connaissais pas beaucoup le français. J'avais un peu peur, mais mon grand carton à dessin sous le bras, j'étais allée en direction du lieu de rendez vous que l'on s'était donné. J'avais fini par lui envoyer ma photo, et lui aussi. « Bonjour ... » fis-je un peu timide en le voyant de loin. Il était beau. Je ne pus m'empêcher de le remarquer tout de suite. Il ferait pâlir mon frère. Il faisait de l'ombre à tous les petits amis que j'aie pu avoir jusqu'à présent. Il était ... fascinant et ce sourire. « Paris? » demandais-je timidement dans un français un peu approximatif. Il s'est retourné et son sourire ... je suis tombé sous le charme immédiatement. « Enchanté. Je suis Stanley » il avait une telle assurance, il était ... mieux que j'aurai pu l'imaginer. Dire que j'avais grandi avec lui ... Je n'en revenais pas. Je n'en revenais tout bonnement pas!

• • •

Il avait été mon guide. « Tu vois que c'est pas un vilain violeur d'enfants ou quoi que ce soit. »  avais-je dit au téléphone à Max qui était plus qu'inquiet. Mon frère se mêlait toujours de ma vie. C'était un de ses plus grands défauts. « Mais ça ne veut rien dire ça! Fais attention à toi! » j'étais peinée de son manque de confiance en moi. je savais bien qu'il ne disait pas ça pour me faire du mal, et pourtant son manque de confiance en Stanley me blessait. Il me connaissait non? Je n'étais pas naïve, j'avais été élevée à la campagne, j'avais de bonnes valeurs. Trois coups frappés à la porte me déconcentrèrent. « Je te laisse! Il arrive ! » j'avais rapidement raccroché et étais allée lui ouvrir la porte. « Bonjour Stanley » avais-je dit. « Bonjour Eileen, tu es prête pour aller visiter la Tour Eiffel!? » des étoiles plein les yeux, j'avais hoché de la tête et pris mon manteau. J'avais dans l'idée d'envoyer un croquis de la tour à Max. rien que pour le faire enrager.

• • •

Tout était allé très vite, trop vite même peut être. Il était romantique, il était charmant, et je l'aimais beaucoup. Rapidement il m'a embrassé. Ça me semblait tellement naturel, il me connaissait comme personne, et je le connaissais moi aussi. « Je t'aime » avais-je murmuré doucement. Quatre mois que l'on était ensemble. J'avais rencontré sa famille, son jumeau, Riley. « Je t'aime aussi Eileen » j'étais littéralement sur mon petit nuage. « Épouse moi Eileen, s'il te plait, fais de moi le plus heureux des hommes » il avait été direct, mais il l'avait toujours été, et si nous n'avions jamais parlé des lettres, il était évident qu'elles étaient entre nous. Très expressivement je lui sautais dans les bras pour lui répondre à la positive, bien évidemment.

• • •

Mes parents n'ont pas pu venir. Il faut dire que ça ne faisait quand même que quatre moi que j'étais à Paris. Celui qui aurait pu venir mais qui a refusé par contre, c'était Max. Par jalousie, par incompréhension. Aucune idée. C'était monsieur Howing qui avait accepté de me faire descendre le long de l'allée. J'avais pas voulu de robe trop exubérante, une simple robe bustier blanche, un voile sur les épaules. Une palette avec des fleurs collées dessus et en guise de bouqeut, et plusieurs pinceaux pour tenir mon chignon. Un truc un peu ... artistique ... comme moi. « Moi, Stanley Howing, je te prends toi, Eileen Hopkins pour épouse. » et il se tournais vers Riley pour prendre l'alliance et la passer à mon doigt. « Moi, Eileen Hopkins, je te prends toi, Stanley Howing, pour époux » et je me penchais vers Riley qui semblait distrait pour prendre l'alliance et la passer au doigt de mon époux. « Je vous présente Madame et Monsieur Stanley Howing! » j'étais heureuse. Terriblement heureuse à ce moment précis, et ça se lisait sur mon visage.

Il devait aller chercher ses affaires chez son frère où il vivait jusqu'à présent. J'étais moi déjà dans notre nouveau logement que l'on avait signé à deux. « Je reviens très vite!  » je fi sun peu la moue. « Tu es sûr que tu ne veux pas que je vienne? Tu peux toujours avoir besoin de bras en plus, non? » dis-je en lui montrant mes biceps. Mais il refusa catégoriquement en riant. « Mais non ... t'en fais pas, ton mari est fort! » J'avais soupiré, m'étais installée sur le canapé. Et je l'avais attendu ...

• • •

Il n'étais pas revenu, et je n'avais pas réussi à le joindre sur son téléphone. Je commençais un peu à m'inquiéter. Mais j'essayais de me convaincre qu'il devait être avec son frère quelque part. Un lien de jumeaux, on ne comprend pas vraiment ce que c'est quand on n'en a pas. C'est pas pareil hein. Et pourtant j'étais bien obligée de devoir gagner ma vie, et mes études se poursuivant il me fallait bien payer ma part du loyer. Quatre mois de mariage et je ne savais pas où était mon mari ... Max trouverait ça ironique hein!? Pour le moment je n'avais pas le temps d'y penser.  « Bonsoir, je suis là pour l'extra. » il y avait une grosse soirée dans ce restaurant ce soir et j'étais embauchée. Et c'est là que Riley apparait. Comment est ce que j'avais pas pu me souvenir que c'était en effet son restaurant ... « Bonjour » me risquais-je à lui dire, par politesse je voulais pas qu'on sache que c'était mon beau frère. "Ouais, c'est ça, bonjour... Va bosser plutôt.". Glacial ... je soupirais et repris mon travail. La soirée se déroula plutôt tranquillement et le rythme était soutenu ce qui était pas plus mal. Mais sa froideur et son comportement m’énervaient. Je finis par exploser en plein service. « Ça fait une semaine que j'ai pas vu ton frère alors lâche moi un peu. S'il veut le divorce il est pas obligé de partir sans me prévenir alors que je me retrouve avec le nouvel appartement et toutes les factures à payer.  » bien sûr ça ne plut pas au maitre d'hôtel à qui je rendais mon tablier de manière peu polie et pris la porte en hurlant. « Putains de jumeaux Howing! »

• • •

Des semaines encore et j'étais au bord de l'expulsion de l'autre appartement, celui où nous aurions du poser notre cocon, nous établir, et faire notre vie ensemble. Heureux comme j'en avais rêvé. Mais c'était plutôt devenu un cauchemar. Il était pas revenu, et ne me répondait toujours pas. Je n'étais même pas allée au restaurant chercher mon chèque de peur de tomber sur Riley et son regard narquois et satisfait. Je suis sûre qu'il ne m'a jamais aimée, et qu'il n'a jamais vu notre union d'un bon œil ... Mais j'ai pas eu le choix, j'y étais retournée et m'étais excusée. J'avais besoin de ça. Je n'avais plus d'inspiration pou l'art. J'étais une toile vierge. Et puis ... un peu avant le service il est venu près de moi "Il est dans les Caraïbes, avec une autre. Il est heureux sans toi. Il t'a fait du mal et je lui en veux pour ça. Je veux pas en vouloir à mon frère, c'est trop dur pour moi de le haïr et pourtant... Je suis désolé. Je serais là si t'as besoin de parler." et il était parti ... lui aussi. « Foutus Jumeaux Howing ... » soufflais-je en me mordant la lèvre pour retenir les larmes de couler et me hâtais d'aller servir la première table.

Tout était difficile, tout était dur. Il m'avait envoyé les papiers du divorce. Il voulait pouvoir épouser sa nouvelle copine. Nouvelle copine qui n'était autre que ma camarade de Beaux-Arts. Ils s'étaient rencontrés à mon appartement quand j'étais allée acheter un peu de lait pour tenter de leur faire un gâteau. Elle lui avait ouvert, et ils avaient eu le coup de foudre. Et il était parti. J'avais signé. « Mais oui maman. Tout se passe bien! On est très heureux! » j'étais en train de déménager, le grand appartement pour moi n'était plus possible. Riley était présent. Contre toute attente. « Ils ne savent pas pour le divorce, je ne veux pas qu'ils sachent. Je ne veux pas qu'ils se rendent compte que tout va mal ... » il avait acquiescé. Il ne demandait jamais rien. Et en effet tout allait mal. J'étais une toile vierge. Je n'avais aucun jus. J'étais comme morte intérieurement. C'était ... Tellement déprimant. Je bossais au restaurant. Et l'art ... c'était un peu une mauvaise passe. Mes professeurs déploraient mon manque de concentration.

• • •

« Non je veux pas!  » cinq années étaient passées. J'étais en train de batailler avec ma vie, je tentais de garder la tête hors de l'eau, mais c'était difficile. J'avais interdit à mes parents de venir mais j'étais allée les voir, quelques fois. Prétextant qu'il était en voyage, qu'il faisait autre chose, qu'il était retenu. Et ils n'avaient jamais vraiment posé de question. Je savais bien donner le change hein. J'avais développé des talents d'actrice. C'était peut être pour ça qu'Etienne Petit voulait maintenant que je fasse des photos dénudées. « Tu comprends, c'est pour la publicité, ça te fera vendre, c'est comme ça l'art maintenant tu sais, allez, fais pas ta prude voyons. Tu as de très belles formes, ton mari doit te le dire tout le temps » je réprimais une salve de larmes. « D'ailleurs en parlant de ça, tombe l'alliance hein pour le shoot! » et je m'étais déshabillée prête à faire le shooting.

• • •

C'était trop difficile. « Un aller sans retour pour Buffalo s'il vous plait. » avais-je demandé à la jeune femme au guichet. Je rentrais chez moi. Etienne avait posté mes photos partout sur internet. J'étais affichée partout, j'étais honteuse, et j'étais grillée dans le monde de l'art. C'était le ponpon. Plus de mari, Plus de boulot ... plus d'espoir. Je rentrais chez moi. Je lui avais laissé un mot quand même.

Riley.
Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Tu as été un merveilleux beau-frère et j'en suis heureuse. Je dois rentrer à Buffalo pour mes parents, ils ont besoin de moi. On se reverra peut être un jour.

Eileen.

Je fermais les yeux et plaçais la lettre pliée comme d'habitude dans une enveloppe. Puis je la posais sur mon bureau. C'était difficile. J'étais employée à la bibliothèque. Il fallait bien faire quelque chose. j'avais menti. J'avais fait celle qui aime son mari et que son mari aime tellement qu'il la laisse aller de l'autre côté de l'océan. « Oh Stanley, bah ...  » "Chérie, je suis enfin là! Tu plaisantais vraiment pas quand tu disais que ça se trouvait sur aucune carte ton bled... Monsieur, madame, Stanley est enfin arrivé." J'étais sur les fesses. Surprise. Qu'est ce que Riley faisait là? Et la réponse ne tardait pas. "Tu voulais pas que tes parents sachent, non? Je te sauve la mise, Eileen, c'est ça que les amis font en général même si t'es tellement têtue que t'accepterais l'aide de personne... T'as besoin d'un Stanley, il s'avère que j'en suis un très bon alors laisse moi faire."  Je soupirais doucement et rougissais. « Merci Riley » soufflais-je doucement du bout des lèvres, mais infiniment reconnaissante. Et puis une panique me prit. Est ce qu'il avait vu les photos? Est ce que c'était pour ça qu'il était là aussi? « Foutus Jumeaux Howing ... » soupirais-je une dernière fois.