Il avait cette sale habitude de se perdre à n'importe quel endroit et le centre équestre n'était pas vraiment une exception à la règle. Pourtant, cela faisait des années qu'il traînait chez les Fenley, quand il était encore voyant, il passait déjà par les chemins de la ferme pour aller embêter Whizz à n'importe quelle heure de la journée. Sauf que maintenant, il devait se fier uniquement à son instinct pour s'y retrouver dans un domaine qui faisait tout de même plusieurs hectares. Certes, on dirait pas comme cela mais la famille Fenley avait réussi à gagner pas mal de kilomètres e terrain au fil des années, ce qui ne faisait pas franchement les affaires de Sky au final. Oui, parce qu'il avait beau avoir eu une vision, quoique floue, avant sa majorité, il était bien incapable de se rappeler de tous les obstacles qu'il pouvait croiser et ce, même dans la propre demeure des Elliot. Non, on ne pouvait pas dire qu'il avait une excellente mémoire, sauf lorsque le don concernait des visages. Le jeune homme se rappelait toujours des visages de ses proches voire même de ses anciens camarades de classe et des personnes qu'il avait maintes fois croisés en ville sans pour autant leur adresser la parole chaque jour. C'était pour cela qu'il n'oubliait pas les expressions sur le visage de son père, encore moins sur celui de Whizz, peut être parce que c'était la personne qu'il avait le plus fréquenté depuis sa naissance, malgré la petite différence d'âge. Sky oubliait tout, sauf cela, les visages, les noms et les rires. Il était toujours resté incroyablement optimiste, même dans ses plus sombres heures où il réalisait que ses yeux le lâchaient à une vitesse affolante. Et pour sûr que lorsqu'on était encore un gamin, on avait vite peur face à un événement d'une gravité pareille mais cela n'était jamais véritablement arrivé à Sky. Il semblait invincible, il n'avait peur de rien... En apparence.

Il devait se l'avouer, se retrouver perdu au beau milieu du circuit de la promenade des Fenley ne le rassurait pas pour autant. Il fallait dire que la journée allait bientôt se terminer et il n'y avait aucune trace de Leo ou de Whizz quelque part. Le pire dans l'histoire, c'était bien qu'il ne se rappelait pas réellement comment il avait atterri dans les environs. Pendant quelques minutes, Sky s’était réfugié dans ses pensées en marchant machinalement. Il était idiot d'agir ainsi surtout qu'il venait de se dire qu'il y avait potentiellement encore des chevaux en promenade à cette heure ci. Il allait peut être bien finir sous les sabots de l'un d'eux et dans ces cas là, il ferait moins le malin en bout de course. Ne pas y penser, c'était probablement la meilleure solution à l'heure actuelle et c'était aussi ce qu'il faisait le mieux, rester insouciant, raconter tout ce qui lui venait par la tête à n'importe qui alors que les gens le regardaient d'un sale air en retour. Bon ok, il n'avait probablement pas l'humour le plus dévastateur du Wyoming tout entier mais Sky acceptait sa différence. Il était un aveugle de vingt deux ans et même si tout le monde souhaitait qu'il se prenne en main en acceptant de l'aide d'une quelconque manière, il était tellement têtu que dans dix ans, il serait toujours le malheureux qui termine les quatre fers en l'air dans les fourches à l'écurie ou bien le nez dans une porte dans le coin.

La nuit allait probablement bientôt tomber et le misérable Elliot commençait franchement à désespérer, c'était peut être à cela qu'aurait pu lui servir un téléphone, s'il était capable de s'en servir. Au lieu de tenter de se diriger comme il le pouvait, il termina par s'allonger dans l'herbe, avec l'espoir qu'on vienne le secourir de sa misère. Les minutes passaient. Et rien. Jusqu'à ce que l'odeur si particulière des éléments lors d'un coucher de soleil ne viennent éveiller ses narines. Inconsciemment, Sky se mit à siffloter en souriant. Il était un imbécile heureux et un imbécile qui entendit les vibrations sur le sol... Des sabots. Oups. Peut être que son cauchemar allait se réaliser finalement. Puis, quelqu'un qui descendait de l'animal pour probablement s'approcher de son pauvre corps allongé par terre. Au moins, on l'avait vu et il ne finirait pas écraser tout de suite, enfin pas avant d'avoir parlé en tout cas, vu qu'il avait tendance à énerver les gens dès qu'il l'ouvrait pour ses petites plaisanteries. Et alors que les pas se rapprochaient, Elliot leva le doigt, persuadé d'avoir trouvé l'identité de son probable sauveur. "Manny, toujours un plaisir de croiser ta route... Et oui, je sais ce que tu vas me demander, pourquoi t'es allongé par terre au milieu du circuit alors qu'il va faire nuit et j'ai une réponse pour toi, j'admire le coucher du soleil, tu le crois ça?" C'était le genre de plaisanteries moyennement drôles qu'il faisait toujours quand la jeune femme était dans les parages et forcément, sur le moment, il se mit à sourire le visage toujours fixé vers le ciel en laissant son fameux lever de sourcil finir le travail. "Bon ok, j'avoue, je me suis un peu égaré, mais ça arrive même aux meilleurs, non?" Il ne se releva pas pour autant, tendant le bras vers le lieu où il avait identifié la jeune femme plus tôt. "Tu veux participer? Je t'assure que ça va être une nuit avec plein d'étoiles..." Et les voir lui manquait atrocement mais il continuait de sourire tout de même. Parce qu'au fond, la présence de Manny semblait suffire sur le moment.

Manny était assise sur le canapé dans le salon et faisait face à la fenêtre. Sa mère parlait depuis près de dix minutes, mais la brunette ne l’écoutait plus depuis bien longtemps. « Manny, t’es toujours avec moi? » Son regard se posa la femme assise devant elle. Il fallait l’avouer, il était bien plus plaisant de regarder la verdure et les quelques écureuils qui semblaient faire la course que d’écouter sa vieille mère radoter. « Tu disais? » Demanda Manny avec un petit sourire en coin. Dès qu’elle cessait de prêter attention à la conversation et que sa mère la ramenait à l’ordre, elle lui laissait croire qu’elle n’écoutait pas, bien que ce soit souvent le cas, dans le simple but de la faire rager… Et ça fonctionnait à tout coup. « Manuela. » Mme Kelsey dit-elle d’un ton autoritaire. Elle savait sans doute que Manny préférait qu’on l’appelle par son surnom que son prénom. Faire chier est un jeu qui peut se jouer à deux. « Oh maman, j’sais très bien que la fête foraine arrive à grands pas et qu’il faudra que j’aide… Comme à chaque année. Pas besoin de me sortir le grand discours. J’ai l’habitude. Maintenant, j’peux y aller? » En fait, s’il y avait une seule chose dont la jeune femme avait envie en ce moment, c’était sortir prendre l’air. Alors qu’elle franchit le pas de la porte, elle se souvint qu’elle travaillait le lendemain et qu’elle devait encore voir à un truc ou deux avant de travailler. Elle décida donc de prendre, en catimini, la direction de la ferme Fenley  S’il y avait bien une chose qui devait rester secrète, c’était ça. Il ne fallait pas qu’on sache qu’elle travaillait pour le camp ennemi… quoi qu’elle ne les considérait pas vraiment comme des ennemis les Fenley. Après tout, elle s’était fait des amis et se sentait appréciée. Si on comparait à chez elle, il est clair que Manny préférait passer son temps sur la ferme des Fenley. Même si ce n’était que pour faire un tour de cheval, elle préférait l’ambiance qu’elle retrouvait sur son lieu de travail. C’est pourquoi elle prétextait parfois sortir avec des amies simplement pour pouvoir se rendre chez les « concurrents ». Une fois à la ferme, Manny vérifia si elle avait tout le matériel nécessaire pour les activités qu’elle avait prévue avec le groupe de jeunes qui viendrait la journée suivante et, une fois tout préparé, elle se dirigea vers l’enclos des chevaux. Elle ouvrit un des box avant de préparer son cheval. Elle y monta et parti en petite randonnée. Au bout d’une quinzaine de minutes, le ciel s’était assombri et elle décida qu’il était plus sage de rentrer.

Alors qu’elle s’approchait de la ferme, elle vit une forme sur le sol. Au départ, elle pensa tout de suite à un animal blessé. Rien de bien inhabituel, songea-t-elle. Elle le soignerait du mieux qu’elle le pourrait. Plus elle s’approcha, plus la forme grossie. Elle réalisa bien assez vite qu’il ne s’agissait pas d’un animal et ordonna à son cheval de ralentir. Il se stoppa tout juste aux côtés du corps que Manny reconnu comme étant Sky. Elle débarqua du cheval avant de regarder son ami étendu sur le sol. À ses mots, elle ne put s’empêcher de laisser échapper un léger rire. S’il y avait bien une chose qu’elle appréciait chez Sky, c’était qu’Il n’était pas de ceux qui se laissent abattre par leur handicap et qu’il trouvait toujours le moyen d’en rire. Comme on dit, il vaut mieux en rire qu’en pleurer.  « Et c’est toujours un plaisir de croiser la tienne. » Répondit-elle. « Même si pour un instant, je t’ai presque pris pour un animal blessé… quoi que j'dois avouer que tu me fasses un peu penser à un animal blessé. T’es juste trop gros pour en être un. » Lança-t-elle en blague. Il n’y avait jamais rien de très sérieux entre ces deux-là. Ils se lançaient toujours des blagues. Quoi que c’est un truc que Manny apprécie. Ça change définitivement de l’ambiance à la maison. « Évidemment que j’te crois. Comment pourrait-il en être autrement? » Si la majorité des gens se sentaient mal à l’aise lorsque Sky faisait des commentaires et remarques du genre, Manny elle, embarquait dans son jeu. Après tout, pourquoi faudrait-il le traiter autrement? Certes, il avait perdu la vue, mais il était toujours un humain. Elle se disait également qu’à la longue, ça devait être lassant de toujours sentir les gens être sur la défensive quand ils vous parlent, de peur de dire un truc qui pourrait vous blesser ou vexer. « T’es devenu météorologue toi? » Lança-t-elle, tandis qu’un autre rire franchi ses lèves. « J’veux bien participer. Laisse-moi juste rentrer le cheval dans l’enclos et je reviens tout de suite. »

Sky se voulait à l'aise avec les gens. C'était du moins la facette qu'il montrait en grand public. Personne, en dehors de sa famille bien évidemment, n'avait déjà assisté à un coup de colère de sa part. De la tristesse? Il n'en montrait jamais, non, personne n'avait vu Sky pleurer depuis qu'il n'était plus un gamin. Lui même était bien incapable de dire quand il avait osé craquer pour la dernière fois. Même quand le médecin lui avait annoncé qu'il ne reverrait probablement jamais si les progrès de la science ne se faisaient pas de son vivant, il avait ri. Oui, ri. Sky avait prétexté qu'il n'y avait franchement aucune raison d'être triste, ses yeux n'étaient qu'un instrument et son coeur, lui, battait encore, en communion avec le reste de ses organes. Sa famille ne l'avait probablement pas vu de cet oeil là justement puisque les jours suivants, la maison résonnait uniquement des sanglots de sa mère et de l'impatience de son père de le voir sortir une canne ou un animal de compagnie. Lui, il n'avait a priori rien ressenti. Le lendemain, il s'était levé en sifflotant comme d'habitude et en tentant de trouver la sortie sans se prendre dans un objet qui traînait par terre. S'habiller, il avait eu quelques difficultés au départ et puis, il s'était aguerri. Elliot était aujourd'hui endurci par rapport au reste du monde. Le regard des gens, il l'imaginait, vingt quatre heure sur vingt quatre oui, mais il y répondait avec le sourire ou une plaisanterie minable de son cru. Au milieu de tout cela, Sky n'avait de la place pour rien d'autre, non pas qu'il ne le désirait pas mais parce qu'il n'osait pas être un fardeau pour quelqu'un. Alors que tous ses copains d'école commençaient des relations sérieuses avec des filles qu'ils avaient rencontrés ici ou là, Sky, lui, entamait une colocation avec deux de ses copains, en toute immaturité. On pourrait croire que c'était une décision impulsive, qu'il regretterait forcément après coup, mais probablement pas. Sky avait besoin d'être entouré de gens qui ne le jugeaient pas par ses choix d'indépendance, par ce choix étonnant de rester un homme normal quand rien en lui et autour de lui ne l'était. Inconsciemment, Sky devait savoir qu'il désirait plus que cette vie là, qu'être l'aveugle incapable de se diriger seul ou de trouver ses chaussettes dans la commode sans appeler Whizz qui ronchonnait dès le réveil. Il voulait inverser la tendance, juste pour un jour ou deux, que ce soit lui qui prenne soin de quelqu'un, plutôt que ce soit l'assisté. Il voulait être en mesure d'emmener une demoiselle au restaurant et être celui qui lui ouvre la porte avant de l'inviter à s'asseoir avec un sourire charmeur mais sincère. Mais, ce n'était pas pour lui, il ne pourrait probablement pas être ce gentleman pour quelqu'un à qui il tenait réellement alors au lieu de s'acharner dans une bataille perdue d'avance, le jeune homme faisait preuve d'insouciance, il riait de tout et de n'importe quoi, mais surtout de lui même. L'autodérision avait son charme probablement mais pas avec le sexe opposé.

Sky l'avait bien remarqué en vue des silences qui s'imposaient bien souvent lorsqu'il tentait d'engager une conversation quelconque. Un échec cuisant et puis un autre, et encore et encore, jusqu'à l'épuiser. Mais non, pourtant, Sky se remettait toujours sur pied et sortait toujours l'air fier et à peine décontenancé, en souriant. C'était sa plus grande force, cette capacité à se remettre de tout sans même ciller deux petites secondes. Avec le sexe opposé, c'était se technique première... Y aller sans honte pour après complètement foirer la chose parce qu'il devait se le dire, Sky n'avait aucune habilité dans le domaine. Et puis, il y avait Manny. Elle était cette personne qu'il avait remarqué parmi des centaines, la seule qui semblait répondre à son style avec un certain piquant qui le poussait à revenir, encore et encore. C’était peut être un peu idiot quand on y réfléchissait, mais le fait qu'elle ne le prenne jamais en pitié ou soit toujours là pour rire avec lui mettait Sky dans une position autant confortable que précaire. Qu'était-il censé faire ensuite? Il pourrait très bien se contenter de continuer sur la même lignée, sans prendre aucun risque et finir comme Sky le pote cinglé... Une étiquette à laquelle il était habitué ou alors, il pouvait se bousculer un peu et voir au delà de ce lien qui se formait lentement mais sûrement. Sky se mit à lui sourire alors qu'il écoutait Manny parler, c'était naturel, spontané et même pas douloureux. "Un animal blessé, moi? J'espère au moins que tu penses à un lion blessé parce que tu vois, un escargot blessé, un scarabée ou une fourmi blessé, ça fait vachement moins viril, disons le." Et il se stoppa quelques secondes pour prendre une longue respiration, probablement pour se calmer d'ailleurs. "Et je suis pas très gros, je suis très grand... Ou alors, c'toi qu'es petite. La nuance est là." Il ne s'arrêta pas de sourire en entendant distinctement l'impatience du cheval devant eux alors qu'il haussa les épaules en approbation de ce que venait de dire Manny. Elle le croyait, c'était peut être la seule personne sur cette planète lorsqu'on excluait son meilleur ami qui n'avait pas la sensation que tout ce qu'il était ou pouvait racontait ressemblait à un lot de conneries incommensurables. "Un aveugle météorologue.. On pourrait en faire une super émission télé', merci de l'idée, je vais la noter dans mon carnet à idées sensationnelles, juste après 'l'invention du coupe chips' et 'la création d'une association de protection des Saint-Bernard'.." Il devrait probablement se taire, il se le disait peut être vingt cinq fois par jour mais déjà qu'en temps normal, il ne s'arrêtait jamais alors quand il était nerveux... Un peu comme le cheval derrière qui devait clairement avoir envie de rentrer à l'écurie. "Je suis sûr que tu si tu l'as bien dressé, il rentrera dans l'enclos tout seul. Ou alors, il regardera les étoiles avec nous." Le soleil disparaissait déjà et même si Sky ne le voyait pas, il le sentait. C'était son don à lui, si particulier, mais qui ne l'empêchait pas de dire le premier truc qui lui venait, alors qu'il s'allongeait confortablement dans l'herbe, les yeux fermés. "J'aimerais tellement être en mesure de voir les étoiles à travers tes yeux." C'était peut être la première fois qu'il osait énoncer à voix haute à Manny qu'être aveugle pouvait le déranger pour quelque chose... Et puis lorsqu'il réalisa que c'était totalement ridicule ce qu'il venait de dire, il tenta de se rattraper en tournant la tête vers elle. "Enfin, je veux dire, j'aimerais bien avoir tes yeux pour les voir quoi..." Mais c'était encore pire. Quelle merde. Il respira une bouffée d'air avant de se relancer, sourire aux lèvres. "Enfin, tu vois ce que je veux dire. Je veux pas te tuer pour te voler tes yeux hein... Mais c'est juste que t'as un regard particulier sur les choses... Sur moi, et j'aimerais bien être capable de voir ce que tu vois... Purée, ça a aucun sens ce que je dis, tu dois te demander qui c'est ce taré..." Et comme se sentir vulnérable n'était pas ce qu'il préférait au monde, Sky tenta de camoufler le fait qu'il jouait avec ses mains, dans un sourire franc vers Manuela, un indice comme un autre qui pouvait signifier qu'il était un peu perturbé à l'heure actuelle. Une première dans l'histoire de l'humanité.

À la reaction de Sky, Manny ne put s’empêcher de laisser échapper un léger rire. « J’pensais plutôt à un chiot blessé, tu vois? »  Il ne lui qu’une fraction de seconde avant de réaliser ce qu’elle venait de dire. « Enfin, tu comprends ce que je veux dire? » Se reprit-elle, légèrement embarrassée. Pourquoi l’était-elle?  Après tout, ils étaient du genre à en rire plutôt qu’à en pleurer, seulement, cette fois, c’était sorti sans même qu’elle n’y réfléchisse. C’était toujours dit sur un ton de plaisanterie, mais Manny se sentait tout de même un peu mal à l’aise, de peur de l’avoir offusqué. C’était un peu ridicule puisque lui même en riait, mais tout de même. Elle ne devait pourtant pas montrer son malaise. Ce n’était pas elle. Pas du tout même. Elle était plutôt du genre je-m’en-foutiste. Elle voyait ce malaise comme une sorte de faiblesse et refusait de se montrer ainsi. Non, Manny, elle était forte, enfin c’est ce qu’elle voulait que l’on croie.

C’est vrai, Manny avait toujours joué à l’indépendante, elle avait toujours prétendu être forte et toujours savoir ce qu’elle voulait. Elle a, pendant ce que plusieurs appelaient la crise d’adolescence, eut cette phase rebelle. Elle contredisait toujours ce que ses parents disaient. On leur avait souvent dit que ça se calmerait, mais la seule façon que Manny avait trouvé pour se faire entendre était celle-ci. Désobéir. Certes, elle était le mouton noir de la famille, elle n’était pas très appréciée auprès des autres membres de la fratrie Kelsey, mais elle faisait comme si elle s’en foutait. Au fond, tout ce que la jeune femme souhaitait, c’était d’être aimée, appréciée. Certes, elle avait quelques amis, mais ne dit-on pas que rien ne peut remplacer l’amour des parents? Il faut le dire, à ce niveau, Manny n’avait pas grand chose. Les seuls moment ou l’on s’occupait d’elle, c’était lorsqu’elle s’était mise dans de sales draps. Autrement, elle n’était bonne à rien. Après tout, si elle ne voulait pas reprendre l’entreprise familiale, si elle ne prenait pas part à cette guerre qu’elle trouvait de plus en plus ridicule, était-elle une vrai Kelsey? Enfin, distraite, elle revint au moment présent lorsque la voix de Sky se fit entendre à nouveau. « Ouais, c’est probablement que moi qui est petite. » Déclara-t-elle d’un ton sarcastique avec un léger rire tandis qu’elle remua la tête de gauche à droite. « En fait, j’pourrais te dire que j’suis une géante et t’aurais pas vraiment le choix de me croire… mais comme j’suis gentille, j’vais te laisser croire que t’est grand, fort et viril. J’voudrais pas briser ton estime de toi. » Un énième rire s’échappa d’entre ses lèvres avant de se perdre dans l’air qui, disons-le, commençait à se rafraichir tranquillement.

« J’exige des droits d’auteurs si tu viens un jour à convaincre des producteurs que c’est un bon concept d’émission. Après tout, sans moi, t’en aurais pas eu l’idée. » Lui dit-elle, l’air faussement fière. S’il y avait une chose que Manny ne faisait jamais, c’était se prendre pour une autre, se montrer trop fière de trucs qu’elle accomplissait. Peut importe à quelle point elle pouvait avoir travaillé fort pour atteindre un but, elle ne s’autorisait jamais à se croire supérieure ou à se valoriser outre mesure. Et puis, elle ne cherchait aucunement l’adoration des autres. Elle n’avait pas besoin de se pavaner devant les gens, qu’ils soient en admiration devant elle. Après tout, elle était une fille bien ordinaire, du moins, c’est ainsi qu’elle se percevait. « L’invention du coupe chips? Si t’as besoin d’aide pour commercialiser le produit, j’veux bien. Quelle idée ingénieuse. » C’était un des nombreux trucs que Manny appréciait chez Sky, la facilité avec laquelle il se laissait aller. Il pouvait dire des trucs loufoques, mais il ne semblait jamais avoir peur de ce que les gens pouvaient bien penser. Après tout, c’était peut-être un peu bête, un coupe chips our protéger les saint-bernards. Ce n’était pas comme s’ils étaient en voie d’extinction. Pourtant, Sky lui, pensait à ces trucs. La façon dont son cerveau fonctionnait pour arriver aux résonnements auxquels il arrivait ou aux idées qu’il avait fascinait totalement la jeune femme.

À son commentaire, elle roula à nouveau les yeux, heureuse qu’il ne puisse pas voir sa réaction. « J’en suis pas encore rendue là avec lui. » Expliqua-t-elle. « On a encore du chemin à faire avant qu’il ne rentre par lui-même dans son box. » Avec ces quelques mots, elle se dirigea vers l’écurie mais se stoppa lorsque Sky parla. Elle se retourna, tenant toujours la bride du cheval, et regarda le jeune homme étendu au sol, un sourire triste au visage. C’était beau, ce qu’il venait de dire, mais Manny ne put s’empêcher de se demander à quel point sa vision lui manquait. Étrangement, plus il parlait, plus Manny souriait comme une idiote. Parce qu’au fond, elle appréciait vraiment Sky, bien plus que n’importe qui en fait. Les yeux toujours sur lui, elle se mordilla la lèvre inférieure. Et c’était quoi ce truc qu’elle ressentait soudainement? Comme des petits papillons au creux du ventre. Et ses joues qui, elle le sentait, tournaient tranquillement au rose. Encore une fois, elle remercia peut importe qui elle devait remercier que Sky ne puisse pas la voir. Encore là, ces réactions non désirées la rendait faible, ce qu’elle ne voulait pas laisser paraitre. « Non, je ne me le demande pas. Je veux dire, j’suis habituée à ce que tu dises des trucs qui n’ont aucun sens alors, c’est pas nouveau. » Elle rit avant de rapidement se diriger vers l’écurie et fit entrer le cheval dans son box avant de retourner voir Sky. Elle s’allongea sur le sol, à ses côtés et tourna la tête pour le regarder. « Si tu veux, je peux essayer de te décrire ce que je vois. » Suggéra-t-elle. Ça pouvait sembler loufoque, voir même ridicule comme idée, mais peut-être qu’ainsi, il aurait l’impression de retrouver la vue, ne serait-ce que pour un instant.

Sky passait son temps à parler pur ne rien dire, c'était bien le comble qu'il se trouvait tout bonnement incapable de laisser échapper les mots qui comptaient aux bonnes personnes. Dès qu'il s'agissait de raconter des plaisanteries pas forcément drôles ou faire des mauvaises blagues à ses colocataires, Sky était toujours le premier à trouver des jeux de mots magiques mais lorsqu'on lui demandait d'exprimer ce qu'il ressentait, il n'était même plus capable de dire plus de deux mots sans cafouiller comme un éperdu. C'était probablement le plus grand paradoxe qui constituait Sky Elliot, il voulait faire comme s'il était l'homme le plus confiant alors qu'à l'intérieur, il ne faisait que remettre en question tout ce qu'il était et faisait. Constamment. Même lorsqu'il avait eu une bonne journée, il finissait toujours par repenser aux petits détails qu'il aurait dû changer et à toutes ces petites choses énervantes qu'il devrait probablement arrêter de faire pour devenir quelqu'un de meilleur... Aux yeux de tous, il s'en fichait pas mal, mais lorsqu'il pensait à se famille avec qui il n'arrivait absolument pas à communiquer, c'était juste un désastre pour lui d'être catalogué comme le Elliot le moins réussi du lot. Non seulement il n'avait pas sa vue pour l'aider mais il n'arrivait pas à gérer tous les aspects de la vie au quotidien, ce qui exaspérait encore et toujours son père. Mais aussi sa soeur. Ce qui était certain, c’était que Sky n'avait pas vraiment envie de lui adresser la parole et moins il la voyait, mieux il allait, aussi mesquin ce constat semblait-il être. Il avait toujours jalousé Ally parce qu'elle était plus douée que lui à l'école, qu'elle allait probablement suivre les traces de leur père, devenir une femme forte et importante dans la société alors que Sky resterait toujours au statut de plaisantin et la seule place qu'il pouvait encore prétendre, c'était éventuellement celle de clown dans un cirque. Et encore, cela faisait quelques années qu'aucun cirque ne s'était arrêté dans les environs pour dire vrai. Au final, il resterait probablement toujours le palefrenier des Fenley si l'oncle de Whizz ne le foutait pas à la porte à cause de tous les petits accidents dont il était responsable. Et Sky semblait s'en arranger, à vrai dire, il semblait s'accommoder de tout. Semblait était bien le mot. Il était roi dans l'art de cacher ce qu'il ressentait réellement et il ne pouvait pas mentir sur ses émotions, juste les cacher au maximum. C'était vrai que de temps en temps, il regrettait de ne plus rien voir. C'était quelque chose qu'il ne pouvait pas contrôler, cela ne le rendait pas pour autant maussade, envieux ou amer mais juste.. Humain. Au même titre que ses parents qui avaient fait pas mal d'erreurs avec lui au fil des années. Au même titre que sa soeur qui avait été tout bonnement incapable de faire face à sa maladie et au même titre que Whizz qui souffrait en silence en pensant clairement que Sky était aveugle à ce point. Tout le monde avait ses propres démons à vaincre, ses petits combats à faire et pour Sky, c'était probablement d'accepter que ressentir était quelque chose d'essentiel à son évolution. Ce n'était pas quelque chose d'évident pour lui qui étant donné qu'il avait tendance à vivre dans le déni, c'était certainement pour cette raison qu'il envoyait balader Whizz lorsqu'il mentionnait Manny. Quelque part, il le savait. Sky le savait mais se l'avouer, c'était aussi avouer qu'on n'était pas si à l'aise que cela à l'idée de se montrer vulnérable à l'égard de quelqu'un, de peur de souffrir. De finir comme le pauvre aveugle seul au monde quand tous les autres trouvaient le bonheur bien plus facilement que lui.

"Un chiot blessé... Là encore, ça dépend la race, tu vois.. Parce que si c'est un chihuahua ou quelque chose du style, j'aurais pas beaucoup de dignité je pense mais si c'est un berger allemand là, tout de suite, j'accepte l’appellation." Un large sourire s'étala sur son visage, il ne prenait jamais rien mal de toute évidence. C'était une force, quelque chose qui faisait de lui quelqu'un d'hors normal, Sky était spécial, il avait une carapace si bien érigé autour de lui qu'il réalisait bien souvent trop tard qu'on l'avait effrité. Avec Manny, c'était bien plus qu'un effritement, elle devenait petit à petit son talon d'Achille, la personne capable de lui clouer le bec autant que de le faire bégayer comme un idiot de première catégorie, c'était probablement la beauté de la chose d'ailleurs. Un Sky dérouté. Et encore une fois, c'était le cas. "Je sais que t'es moins grande que moi déjà... Mais ma virilité te remercie d'avoir autant de considération envers elle! Elle s'en souviendra, ça c'est certain!" Et une nouvelle fois, il avait parlé avant de réfléchir puisqu'il était un peu perdu et il se rendit compte après coup que ses mots pouvaient avoir une connotation tendancieuse. Merde Sky. "Enfin, ma virilité dans le sens global du terme, je suppose que tu vois ce que je veux dire sinon je vais avoir honte.. Et j'aime pas tellement passer pour un pervers quand, disons le, c'est franchement pas le cas. Même si ça m'arrive souvent parce que j'fais pas attention à ce que j'dis. Comme maintenant là..." Il avait envie de gueuler au monde entier pour qu'on le fasse taire, sauf qu'ils étaient seulement deux sur le circuit vu l'heure et que s'il devait se dépêtrer de son angoisse, Sky devrait le faire. Il paraissait qu'il suffisait de respirer, se reprendre tranquillement et sourire. Heureusement que cela, c'était naturel chez lui. "Te créditer? J'ferais plus que ça, j'mettrais l'émission à ton nom bien sûr." Et dans sa connerie, Sky était sérieux, c'était un peu dangereux comme attitude mais pour une fois, il avait réussi à ne pas dériver en racontant trop n'importe quoi qui pourrait ruiner le moment. Il en était presque fier... Jusqu'à ce qu'il parle de son idée de coupe chips et d'association bidon. Presque, ouais. "Un coupe chips pour aveugles... Ah, franchement, c'le concept du siècle, j'suis content de voir que j'suis pas le seul à le penser. Après ça, on peut éventuellement penser à l'éplucheur pour aveugles, les couverts spécial aveugles voire même l'essuie tout pour aveugles... Me demande pas à quoi ça ressemble, j'en ai pas encore la moindre idée mais le nom cartonnerait!" Et il recommençait. Sky n’arrivait jamais à garder son sérieux très longtemps, c'était une qualité comme un défaut selon les situations. En attendant, il entendit Manny partir s'occuper du cheval alors qu'il se mettait à l'aise dans l'herbe. Finalement, il remerciait sa maladresse légendaire de l'avoir amené dans ce coin là. C'était peut être la première fois qu'il osait vraiment briser la glace avec Manuela, même s'il était aussi effrayé qu'un caneton qui faisait sa première marche loin des jupes de sa mère. Finalement, il sentit la jeune cavalière s'allonger à côté et un sourire naturel s'afficha sur son visage. Même s'il avait failli dire quelque chose de rédhibitoire, Manny ne fit que souligner une vérité indéniable: il racontait tout le temps n'importe quoi, il n'y avait franchement plus rien de choquant. "Je t'assure qu'à chaque fois, ça a un sens dans mon cerveau mais dès que ça sort de là, y a quelque chose qui dérape... Mais j'vais pas m'changer hein, j'suis pas tout à fait normal t'façon. La preuve, j'suis aveugle. Qui est aveugle en dessous de soixante ans d'nos jours?" Il riait si facilement de sa cécité, c'était souvent déroutant mais son léger rire était si sincère qu'on pouvait difficilement ne pas être attendri devant le spectacle qu'il offrait. Sky tourna finalement son visage vers celui de Manny, en entendant ses dernières paroles, c'était étrange parce que tout le monde lui demandait tout le temps s'il avait besoin d'aide... Mais elle, jamais. Elle était toujours elle même et lui faisait peut être la proposition la plus merveilleuse qu'il ait jamais eu. "Tu ferais ça?" Un léger silence alors que Sky semblait ému mais sans vraiment le dire. Peut être que pour une fois il n'avait pas besoin de le révéler pour que cela se sente. "Ca fait déjà cinq ans que je vois plus le bout d'mon nez. Et pourtant, j'ai l'impression que c'depuis seulement hier que j'ai vu une étoile pour la dernière fois. Cette beauté là, ça marque à vie sûrement." Il s'arrêta quelques secondes, sentant le vent qui s'écoulait avec lenteur autour d'eux. Le silence. Honorable. "Mais j'ai pas besoin de voir pour remarquer la vraie beauté cela dit. Les sensations sont juste différentes, c'tout. Et j'me dis que comme ça, j'peux entendre ta voix comme personne d'autre dans cette ville. Si ça, c'pas un privilège, j'sais pas ce que c'est." Et il se remit à sourire à l'égard de Manny, on ne pouvait pas vraiment savoir si c'était une véritable plaisanterie ou un espèce de sous entendu. Mais dans tous les cas, le fait était là: Manny avait le petit truc en plus qui rendait Sky nerveux, encore plus idiot, mais surtout meilleur.

« Je t’imaginais plutôt comme un Golden Retriever. J’sais pas, loyal, gentil, j’crois que ça te correspond bien. » Lâcha-t-elle avec un énième rire. C’était comme naturel pour Manuela de rire lorsqu’elle était en compagnie de Sky. Pas parce que tout ce qu’il disait était drôle, non. Elle n’était pas de celles qui riait de tout et de rien en compagnie de quelqu’un qui leur plaisait… parce que même si elle refusait de se l’avouer, par fierté sans aucun doute, Manny avait un faible pour Sky. Ce n’est assurément pas un de ces trucs qu’elle avouerait parce qu’elle était ne foulait pas paraitre faible, elle ne voulais pas, comme à son habitude, démontrer une quelconque émotion qui laisserait sous-entendre qu’elle n’était pas la petite rebelle que tous la croyaient être. Enfin, elle était loin d’être comme ces filles qu’elle méprisait. Elle n’était pas de celles qui changeait seulement pour plaire à quelqu’un. Non, Manny, on l’aimait ou on la détestait. C’était tout ou rien. Au commentaire qu’il lâcha, Manny ne put que rire plus fort. Enfin, ce n’était pas si fort, mais outre le bruit des animaux dans l’écurie, on n’entendait presque rien. Du coup, son rire était presque tonitruant. Et plus elle parlait, plus elle se retenait pour ne pas éclater de rire. Si plusieurs personnes auraient trouvé la direction que leur conversation prenait embarrassante, Manny elle, en riait. Après tout, bien qu’elle eut saisi la double signification de ses propos, elle avait également compris qu’il ne parlait pas de sa virilité au sens figuré, mais bien au sens propre, d’être viril.

« Han, une émission à mon nom? C’est le truc le plus gentil qu’on aie jamais fait pour moi. » Déclara-t-elle d’un air faussement ému. En fait, c’était peut-être idiot de sa part, mais, même si la conversation ne semblait être qu’une gigantesque blague, cette attention la touchait. Elle ne le laisserait pourtant pas paraître. Ce n’était pas elle. Et puis, de toute façon, Manny, ce n’était que l’amie avec qui on déconnait.
« T’es le meilleur, tu le sais ça? » Elle le regarda avec un immense sourire au visage. Lorsqu’il parla du coupe chips, elle reprit un air sérieux, comme si cette histoire avait un quelqconque sens. « Tu devrais mettre un brevet sur toutes ces inventions avant que quelqu’un d’autre le fasse parce que c’est du pur géni. » Elle hocha la tête et leva les yeux, regardant les étoiles en l’écoutant parler. Pour une fois, elle se tu. Que pouvait-elle dire? En fait, elle aurait bien pu faire une remarque, lui dire qu’il y avait des gens qui naissaient aveugles ou que certaines personnes, suite à des accidents, devenaient aveugles, mais il savait sans doute tout ça. Et puis, elle était bien, étendue au côté de Sky dans un quasi silence. Pourquoi aurait-elle voulu tout ruiner? Il brisa cependant ce silence. Ça ne dérangeait pas Manny pourtant. Non, elle aimait entendre la voix du jeune homme. « Pour toi, je pourrais faire ça, oui. » Déclara-t-elle, hochant la tête à nouveau alors qu’elle répondit à sa question. Pour lui et pour lui seulement, elle le ferait. C’était peut-être stupide, décrire les étoiles, le ciel, mais les mots qui suivirent la question posée par Sky lui brisèrent le cœur. Elle ne le prendrait jamais en pitié, mais pour un moment, toute trace de rigolade s’emblait s’être envolée. Il n’y avait que de l’honnêteté entre eux. Pendant un instant, Manny eut l’impression de voir Sky comme il se montrait très rarement, voir jamais. Vulnérable. Et pas nécessairement avec une connotation négative. Non, elle l’avait toujours bu plaisanter à propos de sa cécité, mais là, c’était toute autre chose. C’était comme une autre facette de lui, une qu’elle n’était pas habituée de voir. Elle resta muette tandis qu’il enchaîna. Plus il parla, plus le sourire sur le visage de Manuela grandit. C’était peut-être qu’une plaisanterie, après tout, ce serait bien le genre de Sky, pas vrai? Pourtant, avec le ton sérieux de la conversation, les propos tenus par le jeune homme ne firent que faire s’emballer le cœur de Manny. Elle ne savait quoi dire, de peur de dire quelque chose de ridicule ou de paraître faible, alors elle posa sa tête contre l’épaule de Sky et regarda les étoiles. « On peut voir la grande ourse d'ici. » Décrivit-elle.

Sky n'aurait pas voulu être ailleurs, il n'aurait même pas voulu être quelqu'un d'autre. Tout simplement parce qu'il était avec Manny et que lorsque c'était le cas, il était aussi complet qu'il ne l'avait jamais été. Et qu'il ne le serait probablement jamais nulle part ailleurs, et avec personne d'autre. Pourtant, il y avait bien des fois où il avait rêvé d'être dans le corps d'un autre, juste quelques secondes pour réaliser ce que cela pourrait faire de retrouver la vue, de redécouvrir des sensations sur lesquelles il avait posées une croix quelques années auparavant. L'envie ne durait pas forcément longtemps, Sky était assez terre à terre sur la question, il savait qu'il resterait aveugle jusqu'au jour de son dernier souffle et dans la globalité, il s'en sortait très bien sans voir. Bien sûr, comme tout un chacun, il ne pouvait pas oublier que voir, c'était aussi ressentir et que l'alliance des émotions était probablement la plus belle chose qu'un homme pouvait vivre mais lui devait faire autrement. Il pouvait trouver sa beauté dans d'autres élans, d'autres moments qui n'appartenaient qu'à lui. Il pouvait entendre. Il pouvait toucher. Et s'il ne pouvait pas voir un coucher de soleil, il pouvait sentir la fraîcheur s'emparer de ses poumons, il pouvait entendre le bruit des oiseaux nocturnes qui prenaient la place de ceux diurnes, il avait la capacité de vivre le moment différemment et c'était tout aussi bien. Cet instant était parfait. Pour lui. Probablement pas pour d'autres. Se retrouver allongé par terre en pleine cambrousse à raconter les premières choses qui effleuraient de près ou de loin son esprit ravagé par la bêtise les trois quarts du temps, cela ne faisait certainement pas rêver les habitants de cette Terre mais pour Sky, c'téait parfait en tous points. Non pas parce qu'il était encore plus en forme dans ses délires qu'à l'accoutumée mais parce qu'il avait enfin la chance de la côtoyer, elle. Manny occupait cette place spéciale dans l'esprit de Sky, elle était cet espoir qu'il avait d'être considéré comme quelqu'un de normal, quelqu'un qui avait le droit d'être apprécié sans qu'on vienne lui répéter qu'on l'aimait juste parce qu'il était aveugle et que faire preuve de compassion envers lui était une obligation quotidienne. Manuela était l'inverse de cela, elle ne lui parlait pas parce qu'elle s'y sentait obligée mais parce qu'elle avait envie d'être en sa présence et même si rien n'était prononcé entre eux, Sky le savait. Il avait beau le ressentir, ce n'était pas pour autant qu'il se sentait capable de dire quelque chose, de mettre des mots sur la sensation qui le portait vers d'autres cieux. Sky, c'était toujours le type un peu pompeux qui adorait parler à tort et à travers, le plus souvent pour ne rien dire, jusqu'à fatiguer les gens parce qu'il avait peur qu'on oublie qu'il était encore vivant, malgré sa cécité. Et finalement toutes ces années à être vivant, être le clown du coin, le malheureux qui faisait rire tout le monde mais surtout lui même, ce n'était pas à la hauteur de ce soir là. Il était plus vivant que jamais, plus vivant que lorsqu'il y voyait encore quelque chose, que lorsqu'il était presque suffisamment doué au basketball pour rêver devenir un athlète de renom, plus vivant que jamais, oui. C'était tout nouveau, c'était certainement incompréhensible pour lui qui ne vivait que par procuration de Whizz depuis aussi longtemps qu'il pouvait encore s'en rappeler. C’était unique. Et rien que pour cela, Sky ne regrettait pas tout ce qu'il avait vécu pour en arriver ici, allongé dans l'herbe, avec Manny à ses côtés, qui semblait encline à participer à toutes ses idées saugrenues. Non, il ne regrettait pas d'avoir perdu la vue parce que si elle avait été encore là, il serait passé à côté de ce moment là, peut être même serait-il passé à côté d'elle et sa vie n'aurait pas été aussi intéressante.

C'était le foutoir dans ses pensées effectivement, et c’était le ramdam dans son coeur mais Sky faisait comme s'il était au dessus de toutes les sensations fraîches que la présence exclusive de Manuela lui procurait. Il fallait dire qu'il n'avait jamais été très doué avec les gens qui comptaient vraiment, si cela avait été le cas, il aurait été probablement plus expérimenté avec les filles mais il s'avérait qu'il était doué à les faire fuir. Ce qui était probablement son aptitude la plus inutile à vrai dire, mais aussi la plus utilisée. Mais sur l'instant, tout cela n'avait plus aucune importance, Sky était concentré sur les paroles de Manny, uniquement sur ses paroles, qui le faisaient sourire autant que réagir, un mélange délicieux. "J'me rappelle pas vraiment de la tête d'un golden retriever, dis moi que c'mignon, j't'en prie, sinon t'auras ma dépression sur la conscience." Et il rit une nouvelle fois, peut être parce que Sky et le mot dépressif dans la même phrase, cela n'avait aucun sens. Il n'avait jamais eu un seul coup de déprime qui avait duré plus d'un quart d'heure depuis son enfance, il était bien trop battant pour se laisser aller à de sombres pensées trop longtemps, il préférait sauver les autres de la déprime plutôt que se concentrer sur la sienne en vérité. Allez savoir si c’était une bonne technique, pour lui, cela fonctionnait à merveille. Tout comme sa technique légendaire des conversations à rallonge où la logique était totalement exclue mais en général, les gens ne suivaient pas un brin. Manny, c'était différent. Mais encore une fois, tout avait un goût différent avec elle, tout avait un goût de meilleur. "Comment ça personne a jamais donné ton nom à une émission?! Non, c'pas possible, j'refuse d'entendre un truc pareil! J'peux pas être la personne qui ait fait le truc le plus gentil pour toi.. Personne a donné une étoile à ton nom non plus? Mon dieu, ça fait des trucs à faire pour plus tard ça." Il n'avait même pas idée de ce qu'il disait, c'était Sky dans toute sa splendeur. Il la jouait toujours sur le ton de l'humour mais au fond, il savait bien que c'était plus que cela. Etant donné que Manuela lui donnait véritablement l'envie d'aller acheter un mur d'étoiles filantes au milieu de Central Park ou ce genre de trucs affriolants. Il revint une nouvelle fois sur Terre en entendant la voix de Manny percer ses tympans avec douceur et délicatesse, comme à son habitude. Pour une fois, il resta peut être sans voix pendant cinq secondes, ce qui devait constituer un record dans le langage Sky pour sûr. Avant de sourire. Légèrement. Avec timidité. Juste avant de répondre. "Ca dépend tu me compares à quoi... Parce que j'peux être le meilleur des aveugles, ce qui serait assez simple vu que j'suis le seul à Buffalo mais si tu m'compares à la population entière, là, ça a plus les mêmes conséquences pour mon ego..." Et mon coeur. Mais cela, Sky le garda pour lui, se contentant de sourire comme si c'était normal de faire une réponse de trois mètres de long à une question aussi innocente, probablement. "Disons que j'ai un cerveau programmé différemment... J'dirais pas que c'du génie parce que bon, j'ai pas inventé le braille, ce qui aurait pu être utile mais, j'm'en sors dans ma différence... Ou ouais, en fait, dans ma débilité, on peut l'dire sans rougir." On lui avait dit tellement souvent qu'il était décalé dans ce monde qu'il n'avait même plus honte d'avouer ces petits travers, sa folie surtout. Mais il avait la sensation que Manny ne le jugerait pas pour ce qu'il était, elle ne l'avait jamais fait d'ailleurs et Sky avait l'intime conviction qu'elle ne le ferait jamais. C’était un accord tacite entre eux: de toujours rester eux mêmes, malgré le désaccord de tous les gens qui devaient peupler leur vie, leur famille bien sûr et tout le village finalement. Même si Sky ne lui avait rien dit ou rien suggéré, il se refusait à ce qu'elle change pour qui que ce soit ou quoique ce soit, elle était juste parfaite comme elle était. Marginale. Différente. Manny. Et cette femme était même prête à décrire le ciel à un aveugle, allez savoir si Sky serait plus ému qu'à ce moment là un jour prochain. Probablement pas vu qu'il tremblotait mais en tentant de camoufler qu'il était en train de flancher devant elle. A cause d'elle. Ou plutôt grâce à elle étant donné que Sky n'avait jamais eu le luxe de ressentir quelque chose pareil au cours de sa jeune vie mais certes, remplie. "Si t'es capable d'faire ça pour moi alors... Tu vaux dix fois plus le coup que toutes les étoiles que j'peux pas voir." Mais cela, il le savait déjà. C'était juste qu'il ne lui avait jamais vraiment dit. Il fallait dire que la plupart du temps, ils se croisaient avec plein de gens autour, à la ferme des Fenley et que c'était probablement mal vu de sortir des propos pareils avec dix mille témoins alentour. Voire même aucun d'ailleurs. Sky n'avait aucun moyen de savoir comment Manny prendrait ses paroles, il préféra les oublier la seconde suivante, pour se concentrer sur la tête de Manny contre son épaule, le coeur battant un peu la chamade en tentant d'imaginer la Grande Ourse au dessus d'eux. Il s'en fichait pas mal qu'il y avait une constellation au dessus de son crâne d'ailleurs, il n'arrivait pas tellement à se concentrer sur les étoiles qu'il ne pouvait pas voir sur le moment, mais, comment le blâmer? "Y a vraiment la Grande Ourse? J'espère que c'aussi beau que dans mes souvenirs, quoi qu’à vrai dire, quand je voyais encore, j'regardais pas beaucoup les étoiles alors..." Alors, rien du tout justement. Sky n'avait aucune idée à quoi le tout pouvait ressembler, il imaginait juste un plafond d'étoiles définitivement floues. Il était perdu le misérable, mais cela ne datait pas de la dernière seconde. Il avait été perdu le jour où Manny avait été la première fille de ce monde à lui répondre avec ce brin d'humour si particulier et cet idiot avait rigolé. Il était tombé dedans, aussi vite qu'une fameuse étoile filante s'amusait à traverser le ciel. Il ne s'en était jamais remis et il le réalisait en se concentrant sur Manny à ses côtés, parce que s'il se concentrait suffisamment, il pouvait ressentir son souffle, il pouvait savoir quand elle allait se mettre à parler. Il pouvait même déceler un sourire. Non, il n'avait pas besoin de voir pour cela, tout comme il n'avait pas besoin de voir pour venir timidement approcher sa main de la sienne. La frôler d'abord, ne sachant pas réellement si ce qu'il était en train de faire était quelque chose de dangereux ou pas, il ne réfléchissait pas vraiment, et puis, juste l'attraper, sans rien dire, fait rare, son regard éteint porté vers les cieux. C'était comme s'il pouvait voir, non pas avec les yeux, mais avec le coeur.

Si quelqu’un se terrait dans l’ombre et les écoutait, cette personne serait très certainement en train de penser que tant Sky que Manuela étaient dérangés. Peut-être l’étaient-ils? Rien n’était jamais bien sérieux entre eux et c’était d’ailleurs ce qui plaisait à Manny. Dès lors qu’elle se retrouvait avec Sky, ils pouvaient sortir les pires conneries, dire les pires absurdités et c’était acceptable. Pas besoin de se retenir, pas besoin de faire semblant. Lorsqu’ils étaient ensemble, Manny pouvait se laisser et être qui elle était réellement. Bien que sa vie aie été courte jusqu’à ce moment, elle l’avait toujours passé en prétextant être une petite fille modèle dès lors qu’elle se retrouvait en public. Elle était obligée. Avoir quelqu’un avec qui lâcher son fou était donc merveilleux. Et pour toutes ces raisons, Manny n’aurait pas voulu échanger sa vie contre celle de quelqu’un d’autre. Parce qu’à un moment donné, elle a croisé la route de Sky et que tout a changé sans même qu’elle en aie conscience. Grâce à lui surtout, elle avait appris ce que c’était que de lâcher son fou. Elle avait appris à oublier l’opinion des autres ou même cette stupide guerre entre sa famille et celle de ces employeurs. Perdue dans ses pensées, elle revint au moment présent lorsque la voix de Sky se fit entendre, comme une mélodie à ses oreilles. « C’est ce chien au pelage doré, d’ou le nom tu devineras, de taille moyenne. Enfin, Je te rassures, c’est super mignon. » Et voilà une confession déguisée. Parce que oui, Sky avait tapé dans l’œil de Manny il y a de cela un moment. En fait, la première fois ou ils se sont rencontrés, Manny savait déjà qu’il n’était pas comme tout le monde. Mettons de côté sa cécité, parce qu’elle n’en a rien à foutre, il avait réussi à faire sortir l’enfant en elle. Il avait fait ressortir tous les bons côtés de sa personnalité, ceux qu’elle tentait tant bien que mal de cacher. Et pour ce qui est de la description claire et précise, on repassera. « Alors ne déprime pas, je t’en supplie. Je ne supporterais pas d’avoir ça sur la conscience. » Ajouta-t-elle avec un léger rire, bien qu’elle ne supporterait réellement pas d’être la cause du malheur et du mal-être de Sky. Plutôt mourir. Mais ça, elle ne l’admettrait jamais. Tout comme elle n’admettrait jamais que les propos qu’il tenait faisait légèrement accélérer son rythme cardiaque. « J’te jures, personne n’a jamais nommé d’émission en mon nom. Du moins, pas que je sache. » Déclara-t-elle en haussant les épaules. « Tu crois que ça signifie que personne ne m’aime? Je veux dire, on fait ce genre de trucs quand on tient à quelqu’un, non? C’est pas un standard? Genre mes amis devraient l’avoir déjà fait, tu ne crois pas? » Et la voilà qui divaguait, qui disait tout pour ne rien dire. L’état dans lequel il la mettait, c’était terrible. Jamais elle ne s’était sentie ainsi. Désarmée et vulnérable.

« Tu mérites définitivement le titre de meilleur aveugle, mais je t’avoue que celui-là, c’est un titre qui te revient de droit. » Elle laissa s’échapper d’entre ses lèvres un énième rire. Elle se sentait bien, libre, elle-même. Elle n’avait pas de limite à respecter avec Sky, enfin presque pas. Elle resta silencieuse pendant une fraction de seconde qui lui sembla pourtant être une éternité avant de reprendre la parole. « Mais je pensais plutôt en terme de population mondiale. J’veux dire, j’suis jamais sortie de cette ville, mais j’suis certaine à 99.9% qu’y’a personne de meilleur que toi. Après tout, qui voudrait bien nommer une émission ou une étoile en mon nom? J’crois pas que personne d’autre ne serait prêt à ça. » Et à ce moment, un truc se mit en marche dans sa tête. Elle s’était toujours promise de ne jamais se faire de scénario, mais si Sky lui disait tous ces trucs et qu’il les pensait vraiment? Si, tout comme pour elle, il y avait un fond de vérité dans ses remarques et commentaires? Elle chassa cette idée immédiatement de sa tête. Sky était un ami. C’était seulement un ami… Du moins, c’était ce qu’elle voulait continuer de se faire croire. « Je te jures, t’es un géni… du moins, et pour ce que ça importe, à mes yeux t’en es un. » Disons que la subtilité n’était pas vraiment son point fort. Vous l’aurez sans doute compris. Pourtant, elle réussi à tourner le commentaire à la plaisanterie, du moins à lui donner un air beaucoup moins sérieux en laissant échapper un léger rire, encore une fois. Celui-ci, par contre, en était plutôt un de nervosité. Oui, être si près de Sky, être si honnête avec lui la rendait affreusement nerveuse. Si elle était amie avec quelques garçons, aucun d’entre eux n’était comparable à Sky. Aucun d’entre eux ne lui faisait perdre ses moyens comme c’était le cas en ce moment. Aucun n’arrivait à lui faire dire des trucs, bien qu’elle ne cesse de les tourner en plaisanteries, qu’elle n’aurait jamais osé dire. Il fallait qu’elle soit incroyablement confortable pour s’ouvrir, ne serait-ce qu’un petit peu. « J’te trouve pas débile, moi. T’es loin de l’être. » Avoua-t-elle avec sincérité, détachant ses yeux de la voute céleste pour les poser sur le jeune homme à ses côtés. « T’es différent, je te l’accorde, mais t’es pas débile. » Bon Manny, faudrait peut-être cesser de le défendre autant parce qu’à force, il va bien voir que tu tiens à lui beaucoup plus que tu ne veux l’admettre. Pourtant, c’était plus fort qu’elle. Dès que quelqu’un disait du mal de Sky, même si c’était lui-même, elle se braquait et se mettait sur la défensive, prête à attaquer. Elle agissait ainsi avec tous les gens auxquels elle tenait, mais avec Sky, c’était à la puissance dix. Elle prit une inspiration et se calma. Après tout, il avait bien le droit de dire ce qu’Il voulait. Elle n’avait pas à approuver ses propos, mais si c’était ainsi qu’il se percevait, elle ne pouvait rien y faire. En fait, elle aurait bien aimé qu’il puisse se voir à travers ses yeux à elle. Qu’il puisse voir tout ce qu’elle voyait en lui.

Lorsque le sujet de discussion revint aux étoiles qu’elle était prête à décrire pour lui, le commentaire qu’il fit la fit rougir. Par réflexe peut-être, par gêne un peu aussi, elle tenta de cacher son visage dans l’épaule, comme si Sky pouvait voir la teinte rosée que ses joues avaient prise. Et voilà, elle venait de se dévoiler. Et puis, elle avait ce large sourire au visage, incapable de le retenir. Pour une fois, elle remercia les cieux que Sky ne puisse pas la voir. Elle aurait été encore plus embarrassée qu’elle ne l’était déjà. Comment il arrivait à la faire se sentir ainsi, à la fois nerveuse – était-ce le bon mot pour décrire la façon dont son estomac se nouait et son rythme cardiaque augmentait? – et merveilleusement bien était un mystère. Certains diront sans doute que c’est ce que l’amour fait. Affirmation qu’elle rejetait sans hésitation. Elle n’était pas amoureuse. Elle ne pouvait pas être amoureuse. Cette petite voix qu’elle n’avait pas entendue depuis bien longtemps revint la hanter, résonnant dans sa tête et lui rappelant qu’elle ne pouvait pas être amoureuse, du moins pas de Sky. Il était un ennemi. Si c’était réellement l’amour, si quelque chose venait à se passer entre eux, parce qu’il était clair qu’il y avait une chimie indéniable entre ces deux-là, elle ne pourrait pas le présenter à sa famille. S’ils venaient seulement à connaitre la double vie qu’elle menait derrière leur dos. Un léger vent de panique traversa son corps, mais la voix de Sky l’aida à se concentrer de nouveau sur le moment présent. « C’est magnifique. J’voudrais bien pouvoir te prêter mes yeux pour que tu la voies. » Un faible soupire quitta sa bouche et elle repositionna sa tête convenablement sur l’épaule de Sky. « C’est cette constellation que les gens appellent la casserole. Je vois pas pourquoi en fait, parce que j’ai jamais vu de casserole carrée. En fait, c’est un genre de rectangle, enfin si tu relies quatre points lumineux parmis les dizaines qui se trouvent dans cette région du ciel, et sur un des plus petits côtés du rectangle, une ligne ressemblant étrangement au doigt croche d’une sorcière y est rattachée. » Ce n’était peut-être pas la description la plus adéquate de la Grande Ourse. Après tout, c’était un spectacle magnifique qui se dressait devant ses yeux et elle le réduisait à cette banale et, il faut se l’avouer, étrange description. N’était-ce pas Sky qui avait dit qu’elle avait un regard particulier sur les choses après tout? Il avait sans aucun doute raison. Soudainement, elle se sentit presque idiote de la lui décrire ainsi. C’était ridicule, sa suggestion de lui décrire le ciel, les étoiles et elle regrettait presque sa décision. Seulement, tous ses tracas s’envolèrent en une fraction de seconde, le temps qu’il fallu à la main du jeune homme à ses côtés pour frôler la sienne. Ce n’était qu’un simple contact, pourtant, à l’endroit ou leurs mains s’étaient touchées, Manny pouvait encore sentir cet espèce de petit courant électrique quelques secondes après que ledit contact aie eu lieu. Lorsqu’elle sentit sa main agripper la sienne, Manuela serra celle de Sky en retour et ferma ses yeux. Non, décidément, elle ne voudrait échanger sa vie, sa place sur cette terre pour rien au monde.

Il était probablement trop rêveur ou alors, il vivait à cinq mille kilomètres de ses pompes mais dans les deux cas, Sky sentait qu'il vivait un instant hors du temps. Il n'avait pas eu franchement l'occasion de regarder des tas de films depuis des mois, en vue de sa condition et pourtant, le jeune homme savait que cette soirée là était digne des grandes réalisations du genre... Ou peut être pas, en fait. C'était certainement uniquement pour lui que l'instant était à graver au fer rouge un peu partout dans sa vie. Sky n'avait jamais eu le choix dans sa vie, il n'avait pas demandé à devenir aveugle, encore moins à être maladroit et gaffeur depuis que c'était le cas mais, mine de rien, ce fait avait constitué un obstacle majeur dans son développement. Il n'avait pas eu la vie merveilleuse que son père lui avait prédit lorsqu'il lui racontait tout un tas d'histoires pour le bercer avant de le coucher. Il n'était pas roi de la galaxie, pas même une rock star ou un chirurgien, il était tout juste Sky, l'aveugle du coin, comme on le qualifiait souvent ainsi. C'était peut être sa malédiction d'ailleurs mais qu'est-ce qu'elle était belle cette malédiction quand elle se jouait de lui pour le rendre le plus heureux de cette maudite planète Terre. Il y aurait un avant et un après ce soir là. Peut être que ce serait l'instant précieux qui chamboulerait toute sa vie, son âme et son esprit. C'était déjà plus ou moins le cas depuis des semaines, même si c'était inconscient depuis le tout début. Manny l'avait éveillé à un second univers, un lieu où la réalité était plus intense, plus magique et où on avait encore moins de contrôle sur les choses et les événements. Heureusement, Sky aimait perdre le contrôle, il était un habitué de la perte de soi et si c'était de la main de Manny qu'il devait se perdre, il accepterait ce doux châtiment comme une bénédiction plus qu'autre chose. Sa vie était étrange, il n'était pas comme les autres, Sky avait toujours pensé différemment et pourtant, oui pourtant, cet instant là, il ressemblait à n'importe qui d'autre, la vue en moins. Pendant des années, le jeune brun avait été témoin des affections d'amour des uns et des autres: il y avait eu ses parents bien entendu en premier lieu et puis, il avait déjà capté l'attitude de Whizz lorsque Trish passait dans les parages mais il n'avait jamais compris. Pourquoi? Ou alors comment? Le tout était resté un mystère pour lui alors qu'il s'était posé tout un tas de questions. Il ne se rappelait de rien, clairement pas des moments flous ou il avait cru, gamin, que Dell était une princesse et qu'il resterait son preux chevalier pour l'éternité. Il s'était trompé bien entendu, le monde changeait, les gens aussi et surtout les sentiments. Ses émotions le rendaient fou désormais et il commençait tout juste à réaliser l'étendue des dégâts: à quel point Manny se faisait sa place au fond de lui, avec une facilité déconcertante. Sky avait abaissé sa garde en sa présence. Certes, il avait continué à raconter tout et n'importe quoi, il n'avait pas foncièrement changé d'attitude parce qu'elle était là, à côté de lui mais ses mots avaient une connotation différente. Dans ce jeu puéril qu'il avait inventé en parlant à tort et à travers, Sky tentait de lui faire passer un message, subtil, voire même subliminal mais un message qu'il n'était même pas encore certain de comprendre. C'était dans l'affection qu'il portait à Manny, cette affection qu'il voulait lui apporter, lui donner sur un plateau d'argent en attendant absolument rien en retour, quitte à se brûler les ailes en plus de ses yeux qui ne fonctionnaient plus. C'était une sensation étrange, unique et dont il ne réalisait pas l'ampleur ou l'impact sur Manny mais c'était réel. Quasi palpable.

Ce qu'il ressentait devait probablement se promener dans l'air tellement il avait la sensation que son corps entier le criait haut et fort, ne demandant même pas la permission à ses quelques neurones encore vivants d'agir de la sorte. Sky ne savait même pas ce qu'il pouvait faire pour contrecarrer le tout, peut même n'avait-il même pas envie d'essayer. C'était bien, c'était beau, cela le rendait heureux, plus heureux que jamais même. Peut être parce qu'on le comparait à un chien super mignon, même si l'assertion semblait totalement ridicule... Pour Sky, ce ne l'était pas; Rien de ce que disait Manny ne sonnait ridicule dans son esprit, elle était particulière. Spéciale, comme il le pensait si souvent et même ses mots teintés d'innocence la rendaient d'autant plus unique à ses yeux. Et le coeur de Sky agissait en conséquence, bien entendu. "Super mignon, ouf! C'bon, j'suis rassuré, j'finirais pas comme chien de gouttière ou chien d'aristos avec un pompon rose... Tu m'sauves la mise, franchement, t'es parfaite." Un autre sourire s'emparait déjà de ses lèvres, peut être même rougissait-il un peu dans l'histoire mais Sky ne faisait même plus réellement attention. Il était ailleurs, déjà loin. Même s'il finissait toujours par ramener sa conscience dans le coin dès que Manny prononçait quelques mots. "T'en fais pas, le jour où j'déprimerais vraiment n'est pas arrivé. Et d'ailleurs si tu m'vois comme ça, j'compte sur toi pour m'botter les fesses et m'rappeler que j'suis Sky, la déprime n'existe pas dans mon vocabulaire." Il en faisait des tonnes: dans ses gestes maladroits, dans le timbre de sa voix qui tremblait légèrement parce qu'il y avait l'effet Manny caché derrière tout cela et qu'il était intensément nerveux. Et que rien ne s'arrangeait pour lui, le temps passant et les conversations s'enchaînant. Il se laissait aller à être sincère avec elle, même si le ton de la plaisanterie était toujours là, Sky ne pouvait pas tellement se cacher derrière son humour ravageur puisque c'était Manny et qu'il savait qu'il était capable d'agir comme un fou pour une émission merdique ou un lancer d'étoiles. Et il l'invitait à y penser, sourire aux lèvres. "Pas que tu saches, elle est là la nuance, j'suis sûr. L'jour où j'le ferais, ça sera une surprise aussi, tu vois." Quel sombre idiot. Imbécile heureux. Amoureux probablement, sans le savoir. "Non, j'te rassure, y a que les tordus dans mon genre pour avoir des idées pareilles... Y a beaucoup d'gens qui t'aiment, c'juste que le nom d'émissions et l'aspect astronomie, ils y pensent pas vraiment... Mais j'suis là pour m'en charger, parce que comme tu l'sais j'suis un peu dingue..." De toi, ouais. Mais encore une fois, les mots restèrent coincés quelque part entre ses cordes vocales et ses lèvres alors Sky se contenta de sourire naturellement. C'était devenu une habitude de ne pas exposer ses pensées jusqu'au bout quand il savait Manny à côté. Au moins, cela prouvait qu'il avait encore une once de self-control camouflé quelque part en lui, c'était probablement ses dernières barrières d'ailleurs. Et elles finiraient probablement par exploser elles aussi, Manny gagnait chaque bataille et Sky ne se battait même pas d'ailleurs. "Meilleur aveugle, t'es sûr? Enfin, j'suis flatté, j'ai jamais eu de titre rien que pour moi, tu m'offres une exclusivité là et crois moi, j'vais la chérir..." Il chérirait n'importe qui venait d'elle apparemment. Pauvre Sky, il s'enfonçait dans les landes de ses sentiments et c'était un chemin inexploré pour lui, encore emplies de fleurs sauvages qui l'empêchaient d'avancer sans trébucher au moindre pas. S'il était encore debout, c'était parce qu'il arrivait encre à se raccrocher à la beauté de ce moment. De Manny. De ce qu'elle lui disait et qui le faisait encore plus tomber dans l'abyme profond de l'effet Manny. Il était désarmé clairement et n'était même pas capable de savoir ce qu'il lui répondait... Perdu. "T'es sûr de tes pourcentages? Si t'es sûr à 99,9%, c'quand même important, non? Ca voudrait dire que sur cent habitants de Buffalo, y a hypothétiquement qu'une personne que tu trouverais meilleur que moi... Si j'la trouve, j'serais p'tet triste... Eh mais attends que j'le fasse vraiment, faut qu'j'me renseigne d'abord pour les étoiles par contre parce qu'j'sais pas vraiment comment ça marche mais j'trouverais, parole d'aveugle." Sky était persuadé de son coup en plus. Il trouverait comment appeler une étoile Manny. Et cette fameuse étoile, il irait la chercher dans le ciel avec un super microscope et il lui montrerait après coup. Pour elle, c'était un coup de génie, pour Sky, c'était probablement un coup de folie mais il ne l'échangerait pour rien au monde. "Tu vas vraiment finir par m'faire rougir, t'sais. D'abord, j'suis un génie, et maintenant, j'suis pas débile mais différent à tes yeux... J'vais vraiment finir par t'demander ce que j'suis à tes yeux exactement. C'dangereux, t'sais, j'pourrais devenir dingue et t'faire peur." Mais il prononça sa phrase en rigolant clairement. Sky dangereux? C'était comme dire à une tortue qu'elle avait battu le record du monde de la rapidité. Il ne voulait que faire le bien autour de lui et Manny était sa première cible en la matière. Au top de sa liste des priorités. Ce qui le poussait à devenir un peu impulsif et laisser agir ce fichu inconscient qui n'avait peur de rien, même pas des cent mille râteaux qu'il s'était déjà pris en dix ans ou presque. Pourtant, Sky constata avec bonheur que Manny ne relâcha pas la pression autour de sa main lorsqu'il se laissa aller à ce geste teinté de tendresse. Il laissa passer quelques secondes d'ailleurs avant d'être en mesure de lui répondre sans que sa voix ne tremble trop. Elle le rendait dingue, encore plus idiot qu'à l'accoutumée et le pire... Il adorait cela. "Non, garde tes yeux. Pour toujours. Ils te sont bien plus utiles qu'à moi. T'es tellement unique, spéciale, j'ai qu'à écouter ta description de la Grande Ourse et me sentir là haut, avec les étoiles. Bon d'accord, le coup de la sorcière, ça me fait un peu rire..." Il s'arrêta pour se concentrer sur sa main dans celle de Manny, c'était presque irréel et pourtant... Oui, pourtant, c'était là. Et il continua. "... Et c'pour ça d'ailleurs que j't'aime bien. T'es toi même, t'es unique, tu t'fiches pas mal de ce que les autres disent... T'es Manny." Il s'arrêta à nouveau, lui souriant avec tendresse, avant de conclure. "Ouais, c'pour ça que j't'aime beaucoup. Plus que tous les autres, j'pense." Et il se stoppa là, incroyablement gêné. Peut être qu'il devrait fuir maintenant, ou prétexter qu'il était en retard pour le dîner u son émission débile préférée... Mais il n'en fit rien, parce qu'il ne pouvait pas lâcher la main de Manny, il ne pouvait pas arrêter de sentir sa tête contre son épaule. Il ne pouvait juste pas lutter, ou plus lutter en tout cas.

Un rire s’envola dans l’air lorsque Manny entendit le commentaire de Sky. « Quoi que je te verrais bien avec une boucle rose dans les cheveux. » Déclara-t-elle, aucunement sérieuse, l’image mentale qu’elle se fit pendant une fraction de seconde la fit rire encore plus fort, dérangeant le paisible calme qui régnait aux alentours.  Elle fit celle qui n’avait pas entendu que Sky avait déclaré qu’elle était parfaite, parce qu’elle se disait que, si elle l’ignorait, si elle faisait semblant que ces paroles ne l’affectaient pas, peut-être que ça deviendrait réalité. Elle avait beau tenté de le nier, personne  n’avait jamais eu cet effet sur elle. « T’Inquiètes, si un jour je te vois déprimer, soit certain que j’vais te botter les fesses. » Lâcha-t-elle avec un aitre éclat de rire.  « Parce que si tu déprimes, ou s’en va le monde? » Comme si la terre allait arrêter de tourner parce que Sky serait malheureux…Enfin, le monde de Manny, lui, cesserait de tourner parce que Dieu sait qu’elle remuerait ciel et terre afin de trouver la façon de le faire sourire, voir même rire de nouveau peu importe l’étendu de sa tristesse.

Lorsque la conversation revint sur le sujet de l’émission de télé qu’il allait nommer en son nom et du fait qu’il lui achèterait une étoile, Manny ne put que rougir aux paroles prononcées par Sky. Décidément, c’était un don chez lui, de lui faire perdre tout contrôle sur son corps ou les réactions que ses paroles provoquaient.  « T’es certain que t’arriveras à me surprendre? Parce que là, je vais me lever tous les jours en me demandant si aujourd’hui est le jour ou tu me diras que tu m’as acheté une étoile ou si t’as enfin nommé une émission de télé à mon nom. » Un énième rire s’échappa d’entre ses lèvres et un large sourire se forma sur son visage. C’était débile comme conversation, mais c’était la beauté de la chose. Pas besoin d’être sérieux. Après tout, Manny en avait assez d’être sérieuse et sage à la maison, c’était bien de se détendre de temps à autre.  « C’est vrai que c’est pas vraiment le genre de trucs auxquels on pense quand on veut démontrer son affection envers quelqu’un, mais les fleurs, c’est tellement démodé. » Elle était loin d’être sérieuse, mais en même temps, il y avait un fond de vérité dans sa plaisanterie. Elle qui aimait tant la nature ne comprenait pas pourquoi les gens, comme sa mère, s’amusaient à mettre des centaines, sans exagération, de fleurs dans leur maison pour simple décoration. Un cadre est tout aussi joli, sinon plus, et ça ne détruit pas la nature.

« Je t’assures, t’es le meilleur aveugle. Bon, j’en connais pas des masses, mais quand même, t’es le meilleur, mon préféré. » Oops. Il faut toujours penser avant de parler, Manny, pour éviter de faire des confessions du genre et éviter de trop t’accrocher. Quoi qu’à ce niveau, il était trop tard. Bien que Manny le niait dès que quelqu’un mentionnait Sky et l’affection qu’elle lui portait, il n’en restait pas moins qu’il lui faisait vivre une montagne russe d’émotion, la faisait rougir comme c’était pas possible et faisait son estomac se nouer tout en la faisant se sentir tellement bien. Des émotions contradictoires qu’elle avait de plus en plus de mal à cacher et à nier. « Techniquement, y’a un dixième d’être humain qui est meilleur que toi. J’dois avouer que j’sais pas trop comment c’est possible, j’ai jamais été très douée en mathématiques. P’t’être que le dixième, c’est les yeux de quelqu’un d’autre, j’sais pas. » Et elle se tue pendant une fraction de seconde, de peur de l’avoir offensé avec ses propos avant de reprendre. « Mais si c’est trop compliqué de nommer une étoile à mon nom, t’es pas obligé de le faire, tu sais? C’est l’intention qui compte après tout. » Mais s’il y arrivait un jour, s’il nommait réellement une étoile à son nom, elle lui vouerait sans aucun doute un culte. Quoi que c’était presque déjà le cas.

À ses propos, Manny ouvrit la bouche, mais la referma immédiatement de peur de dire quelque chose qu’elle risquait de regretter comme le fait qu’il la faisait déjà rougir ou lui avouer à quel point elle tenait à lui, à quel point les promesses qu’il lui faisait lui tenait à cœur et comment elle se sentait magnifiquement bien en ce moment et qu’elle souhaitait pouvoir rester éternellement ainsi. Elle aurait aimé que rester étendu sur l’herbe soit possible. Elle aurait voulu que sa main ne quitte plus celle de Sky. Et oh combien elle aurait souhaité pouvoir rester là, la tête sur son épaule, jusqu’à ce qu’elle trouve sommeil. Elle savait pourtant trop bien que c’était impossible. « Comme si c’était possible que tu me fasses peur. Dans la liste des personnes qui risquent de me faire peur un jour, toute raison confondue, t’es pas le premier sur la liste. » Elle rit avant de se concentrer à nouveau sur la voix de Sky. Son cœur fit un bon dans sa poitrine et l’air sembla quitté momentanément ses poumons alors que les mots composants la dernière phrase qu’il lui dit atteignirent ses oreilles. Elle resta figée pendant un moment avant de pouvoir bouger. Elle ne savait pas quoi dire, elle avait peur de dire quelque chose qu’il ne fallait pas dire donc elle se contenta de poser un baiser sur la joue du jeune homme.

On ne l'avait jamais prévenu qu'être doué, ou tout du moins à l'aise, avec la gente féminine était si compliqué. Dans toutes les séries qu'il avait vues avant de perdre la fonction "On" de ses yeux, les garçons étaient toujours des savants pour comprendre les femmes. Il suffisait qu'ils achètent un petit bouquet de fleurs ou alors qu'il prononce deux ou trois mots doux en agissant comme le sauveur de la journée et c'était dans la poche. Dans la réalité, les gens comme Sky, un peu différents, devaient mettre la bouchée double pour espérer n'avoir rien qu'un sourire en retour. Le jeune aveugle avait bien tenté les fleurs mais il n'avait gagné que des égratignures en plein visage à cause de ces fichues épines de roses. Sky avait aussi essayé d'être agréable, il avait proposé de porter des sacs à main ou des sacs de courses mais bien souvent, on le remerciait froidement et supposément en le regardant de travers. A vrai dire, il avait fait de multiples tentatives en changeant de tactiques à chaque fois mais rien n'avait jamais fonctionné, il fallait s'avouer vaincu et ce n'était pas par sa faute... Non, c'était celle du monde. Rencontrer un aveugle faisait peur, c'était un défaut contagieux... Une tare. Du moins, c 'était comme cela que la société devait le voir étant donné que Sky faisait des efforts toujours plus difficiles pour impressionner la galerie et qu'il ne récoltait que de l'indifférence. Heureusement, Elliot avait une force que personne ne pouvait soupçonner: il se fichait du regard des gens, il en riait toujours. Lorsqu'on l'appelait "l'aveugle", il avait toujours une parade et lorsqu'on tentait de le dénigrer pour une raison quelconque, il rebondissait toujours... Le seul problème insoluble, c'était bien les femmes pour lui. Elles étaient toutes un mystère. Chacune d'entre elles passaient un temps fou à se préparer et se regarder dans le miroir pour au final ne rester que mesquines quand on tentait de faire des efforts pour leur plaire. Le comble pour Sky qui n'y comprendrait jamais rien. Finalement, c'était une aubaine pour lui qu'aucune fille n'avait été suffisamment intelligente pour réponde à ses avances parce qu'il réalisait qu'il ne voulait aucune d'entre elles. Absolument aucune. Il avait trouvé mieux et il n'avait pas eu à chercher loin. Il croisait Manny chaque jour, sur un cheval ou dans un pré. Sky entendait son rire tinter ses oreilles quasi chaque jour et sa beauté était autant intérieure qu'extérieure. Elle avait de la bonté, elle n'avait pas pitié et respectait vraiment ce qui était important dans cette vie: l'environnement, la culture et la différence. Elle avait tout, absolument tout ce que Sky ne pouvait trouver nulle part ailleurs. Et clairement, il ne voulait plus chercher ailleurs, il n'avait besoin de rien d'autre que de cela... Juste sa présence. Et si Manny ne désirait rien d'autre qu'un ami à ses côtés, Sky accepterait son sort sans rechigner, juste pour respirer son parfum et avoir le droit d'être ensorcelé par le son de sa voix.

Oui, Sky était prêt à se laisser souffrir pour juste cinq minutes du précieux temps de la jeune femme. A vrai dire, il ne s'attendait qu'à cela, après tous les refus qu'il avait eus, il n'était pas aussi idiot qu'il n'y pouvait paraître. Être aveugle ne plaisait pas. Être Sky Elliot n'était pas un standard de beauté suffisant dans ce monde mais ce n'était plus important étant donné qu'il savait que l'existence de Manuela apporterait sa dose de beauté sur cette triste Terre. C'était sa seule certitude, avec celle que Whizz était le seul ami qu'il avait besoin sur Terre pour sourire. Ses deux seules certitudes. Et il se disait cela, un sourire aux lèvres en entendant la plaisanterie de Manny... Raconter tout et n'importe quoi, c'était son domaine de prédilection. Et heureusement. "Oh, tu sais, ça risque encore d'arriver. C'une manie de Whizz d'essayer de me transformer en fille quand je dors. Alors un noeud rose... J'pense que ça peut s'faire. Si tu veux." Rien ne dérangeait Sky, pas même être le cobaye d'une expérience scientifique dangereuse. Pas même les expériences chaotiques de son meilleur ami, il n'était vraiment pas regardant sur les détails, cela, c'était certain. Un sourire encore alors qu'il se retrouvait en position de penser que peu importait le temps qui passerait, Manny serait toujours la personne la plus à même de le ramener sur Terre. "J'ai presque envie d'me mettre à pleurer maintenant pour voir comment tu t'y prendrais... Mais comme j'suis pas si sadique, j'vais juste t'dire qu'en cet instant, j'suis l'homme le plus heureux de la Terre. Et si le monde s'en va le jour où j'me mets à chialer... C'pas important parce que j'aurais été très heureux aujourd'hui grâce à toi." Et Sky était amplement satisfait avec cette réponse. Il était d'ailleurs satisfait de cet instant de manière plus générale. Chaque sourire était sincère, chaque rire était le reliquat de tout ce que pouvait lui faire ressentir Manny et il était d'accord avec cela. J'trouverais le moyen d'attendre le seul jour où t'auras oublié que j'avais l'intention d'te faire une surprise... Et hop, gagné. J'peux être très patient, t'sais. J'suis capable d'attendre tout ma vie rien que pour ça, juste voir ta réaction le jour où j'arriverais avec une étoile qui s'appelle Manny sur un papier... Enfin voir au sens figuré a priori." Et il se mit à rire légèrement, fier de sa démarche. Il n'y avait que lui pour être réellement en train d'échafauder un plan pour exécuter son idée jusqu'au bout. Il était complètement fou, hors norme et c'était ce qui lui permettait de se faire une petite place dans cette vie où la place qui était de mise était celle de la normalité. Il avait ce petit grain de folie en plus qui était en mesure d'attirer l'oeil des gens comme Manny et c'était tout ce dont il avait besoin à vrai dire. "On est d'accord... Des fleurs, vraiment? J'ai voulu tester pour faire comme tout le monde mais j'ai juste gagné à me retrouver éborgné sur la moitié du visage. Les gens manquent de sensibilité sérieusement. Imagine si ça avait atterri dans un oeil, j'aurais été aveugle... Pff.." Et il éclata de rire en tournant son visage vers celui de Manny. Il en riait toujours, il usait toujours l'ironie quand il s'agissait de parler de la maladie qui l'avait privé d'une fonction essentielle pour survivre dans ce bas monde. Il pouvait vivre sans, oui, Sky arrivait à vivre sans que la vue ne lui manque trop... En général. En vérité, il en rêvait en cet instant juste pour réapprendre les traits dont il se rappelait vaguement du temps où ils allaient à l'école ensemble. Ce n'était qu'utopie mais il avait encore son rire. Et surtout son toucher. C'était probablement le plus important. "Si j'suis ton préféré, j'peux vivre avec ça... Et j'pense que t'as raison, les dix pour cent restants, ça doit être ma vue qui traîne quelque part. Sur la tronche d'un beau mec dans le coin." Et il souriait encore, le visage tourné vers la jeune cavalière, jouant de ses sourcils au milieu de sa plaisanterie, comme il le faisait souvent parce que c'était la seule chose que son père lui avait appris en plus de dix ans maintenant. "Rien n'est jamais vraiment compliqué si on s'en donne les moyens, tu sais. Et des moyens, j'en trouverais pour une simple étoile. J'suis sûr que j'arriverais même à en avoir deux." Il prononça ses quelques mots le coeur au bord des lèvres, son large sourire s'affinant parce qu'il sentait les battements de ce fichu organe moteur s'intensifier une nouvelle fois. C'était en train de devenir une habitude, grâce à elle. Manny. Il tentait de lui dire, même si c'était maladroit, probablement déplacé aussi en vue de leur relation depuis qu'ils travaillaient tous les deux à la ferme Fenley mais Sky n'arrivait pas vraiment à vivre avec ce poids autour du coeur. Et s'il regrettait après coup de ne pas avoir tout donné pour la seule et unique qui transformait son coeur et ses mots en guimauve? Il ne pouvait pas vraiment se le permettre. "Si j'suis que le deuxième de la liste, alors on va dire que tout est sous contrôle et..." Et rien du tout, puisqu'il sentit les lèvres de Manny sur sa joue. Tous ses mots s'étaient retrouvés coincés dans le trafic au fond de sa gorge avec ce simple geste. Il se tourna vers elle, les joues rosies, tentant de retrouver une respiration régulière. Peine perdue. Quelque part dans son monde doré qu'était son cerveau, les connexions ne se faisaient plus vraiment. Le moment était trop intense, trop beau, sa main dans celle de Manny, le toucher de ses lèvres sur sa joue l'hypnotisant à répétition même si les secondes passaient après coup. Naturellement, la main libre d'Elliot vint trouver la joue de Manny maladroitement et timidement, caressant doucement la peau inconnue alors qu'il avait tourné tout le reste de son corps vers elle. Sky souriait. Simplement. Et puis, des mots. Juste quelques mots, la voix tremblante d'émotion. "C'est la première fois depuis quatre ans que... Que je regrette de ne plus voir. Parce que je sais que je suis en train de louper... Ce qu'il y a de plus beau à voir dans le paysage...Là.... Toi." Sky avait bloqué sur quelques syllabes mais la vérité était dite. D'une voix peu assurée, son coeur totalement obnubilé par les pulsations dévastatrices qui lui faisaient monter le rouge aux joues, en même temps que son sourire se montrait à nouveau. Il n'avait plus peur de rien, pas même du rejet. Au moins, il avait tout donné. Tout prononcé. Et tout montré.

Encore une fois, elle ne put réfréner le léger rire qui quitta sa bouche lorsqu’elle entendit les paroles de Sky. L’image mentale qu’elle avait de ce dernier avec une boucle rose dans les cheveux était tout simplement hilarante, impossible de ne pas en rire. « J’suis pas certaine que j’ai envie de voir ça en fait… » Déclara-t-elle, moqueuse. « J’imagine déjà à quoi ça pourrait ressembler et, même si l’image que j’ai en tête est assez drôle, j’suis pas certaine que j’arriverais à te voir autrement après. » Elle avait l’Impression que c’était un truc qu’elle risquait de regretter si jamais cette expérience prenait vie et qu’elle y assistait. Heureusement, elle n’eut pas le temps de trop penser à Sky en version fille qu’ils étaient déjà sur un autre sujet. « Ce sera impossible parce que dès que je rentrerai à la maison ce soir, j’écrirai une note pour me rappeler qu’un jour tu vas donner mon nom à une étoile et la mettre bien en évidence pour que je la voie tous les jours. » C’était débile de vouloir contrecarrer son plan, mais c’était Manny. Elle était comme ça parfois. En fait, surtout quand il s’agissait de surprises. Depuis que ses parents avaient organisé, en catimini, une fête pour elle et que ç’avait été un fiasco, elle n’était plus vraiment fan des surprises. Pourtant, peu importe ce qu’elle disait, cette surprise-là, l’étoile, elle l’accepterait sans rechigner. Parce que c’était Sky. Cette raison était suffisante pour laisser tomber ses défenses. « Faudra que t’attendes que je souffre d’Alzheimer avant que j’oublie. » Même sans mémo, elle n’oublierait pas et elle le savait très bien. C’était un peu idiot, voir même très idiot, de s’accrocher à une promesse qui pouvait sembler ridicule, absurde et irréalisable, mais en vérité, plus ils en parlaient et plus Manny y tenait à cette étoile.

Tu n’en aurais pas été moins beau, pensa alors Manuela lorsque Sky dit qu’il avait été écorché au visage par des épines de roses. Peut-être que Sky n’était pas le mec le plus canon des environs, mais pour Manny, personne ne lui arrivait à la cheville. « Ça aurait vraiment été un drame si ça avait atterri dans ton œil. T’aurais fait quoi si t’étais devenu aveugle? » Encore une fois, quiconque dans ce village se serait probablement offusqué d’entendre cette réplique, mais à ce stade, Manny ne s’en souciait plus. Elle savait que Sky comprendrait. Elle ne faisait que rigoler. Et puis, étant le premier à rire de sa cécité, il ouvrait bien souvent des portes et Manny ne ratait pas une occasion. Et, quand il revint aux statistiques et probabilités que quelqu’un soit meilleur que lui, Manuela redevint tendre et douce. Presque docile. Elle pensa alors que si quelqu’un, un autre mec, avait ses yeux, ça n’en faisait pas vraiment une personne spéciale parce qu’elle n’était pas Sky. « De toute façon, ta vue, t’en a pas vraiment besoin. Je veux dire, le fait que tu ne l’aie plus fait en sorte que tu vois le monde d’une autre façon et c’est un truc que j’aime bien chez toi. » Un truc parmi tant d’autre. C’était vrai, Sky avait une façon bien à lui d’imaginer et de rêver le monde dans lequel ils vivaient et tout ce qui rendait Sky unique, tout ce qui faisait de lui la personne qu’il était, plaisait à Manuela. Étrangement, quand il lui dit qu’il trouverait le moyen de nommer une étoile à son nom, elle n’en douta pas. Elle le cru sur parole. Après tout, elle savait de quoi Sky était capable et s’il voulait faire un truc, peu importe le niveau de complexité, il trouvait toujours un moyen de parvenir à ses fins, ce qui fit s’élargir le sourire sur le visage de Manny. Bientôt, elle aurait mal aux joues à force de sourire autant. Si t’en as deux, alors j’en nommerai une à ton nom, pensa-t-elle. Jamais elle ne lui avouerait, mais ainsi, ils pourraient toujours être ensemble. C’était probablement cliché comme idée, comme pensée, mais c’était sans doute le côté féminin de la brunette qui ressortait. Et puis, en fait, il n’y avait personne qui comptait plus aux yeux de Manny que Sky. Il était une des personnes les plus importantes dans son monde si ce n’était pas la personne la plus importante. Elle n’extériorisa pas le fond de sa pensée, elle se contenta de sourire en direction de Sky. Elle était heureuse, Manny, comme jamais elle ne l’avait été. Et plus les secondes passaient, plus elle était heureuse.  

Quelque peu gênée par le geste qu’elle venait de commettre, la jeune femme regarda à nouveau les étoiles, comme pour échapper à la gêne, en était-ce réellement ou était-ce le fait qu’elle avait apprécié ce moment, qui la troublait tant. Lorsque le jeune homme parla, par contre, elle ne pu s’empêcher de le regarder à nouveau. Une fraction de seconde plus tard, elle senti sa main sur sa joue et elle oublia comment respirer pendant un court instant. Manuela ferma les yeux, histoire d’apprécier pleinement le moment, le geste, avant de les ouvrir à nouveau et de voir Sky le corps complet tourné vers elle. Elle en fit de même, une fois qu’elle retrouva ses esprits, et admira son visage, le détaillant comme si elle voulait s’assurer qu’il soit à tout jamais gravé dans sa mémoire, comme si elle voulait être certaine de se souvenir du moindre petit détail. Ils auraient pu rester ainsi, ne plus jamais parler et Manny aurait été plus qu’heureuse. C’était comme si, en ce moment, elle n’avait besoin de rien d’autre que la présence de Sky. Et lorsqu’il prit la parole à nouveau, la demoiselle senti ses joues prendre une teinte de rose bien plus foncée que celle que les joues de Sky avaient prises. C’était sans aucun doute la plus belle chose qu’on lui aie jamais dite. Le sourire fendu jusqu’aux oreilles, Manny tourna son corps afin de faire face à celui de Sky. Sans même y penser, la main de la jeune femme trouva la nuque de celle du brunet et, lentement, avec une légère hésitation, elle approcha son visage du sien. Elle avait terriblement envie de l’embrasser, il était impossible de se mentir à présent, mais si c’était une erreur? Elle n’avait jamais été très douée avec les garçons, du plus loin qu’elle se souvienne, mais il lui semblait que les signaux que lui envoyait Sky étaient assez clairs. Et la sensation qu’elle ressentait en ce moment au simple contact de leur peau, comme une brulure, mais une drôlement agréable mélangé à un courant électrique qui éveillait tous ses sens, ne mentait pas non plus. Il lui faisait de l’effet, c’était peu dire. Refoulant toute peur, il la rejetterait s’il le voulait, elle réduit l'espace entre leurs deux visages à néan et posa, avec une douceur infinie, ses lèvres contre celles de Sky l’instant d’un court doux baiser avant de revenir à sa position initiale. Si c’était une erreur, si elle avait mal interprété les signaux, elle s’en foutait maintenant parce que rien n’était meilleur que la sensation qui l’envahissait maintenant. C’était définitivement un moment magique et magnifique, peut importe ce qui arriverait maintenant.

Sky ne pouvait pas oublier d'où il venait. De l'enfer d'être un Elliot car oui, être le fils du shérif était loin d'être le paradis, plutôt l'inverse. Tout le monde à Buffalo se mêlait de la vie de James Elliot, il était le garant de la sécurité, il devait tout savoir des habitants et la réciproque était vraie. Ainsi donc, la famille Elliot se retrouvait bien souvent sous le feu des projecteurs et c'était bien les progénitures qui devaient souffrir des problèmes d'image. Sky n'était pas au goût des gens, il n'était au goût de personne d'ailleurs mais jusqu'ici, cela n'avait jamais été un véritable problème. Sky s’était habitué à son statut d'outsider, il avait su dès l'adolescence qu'il ne serait jamais un homme comme les autres, un homme adulé comme son père. Et contrairement à lui, Sky ne recherchait pas l'amour de la majorité, il ne voulait l'amour que d'une seule personne ou du moins une petite minorité. Il préférait largement se faire haïr pour ce qu'il était qu'aimer pour ce qu'il n'était pas. Le brun ne voulait pas être une illusion: un homme qui prenait ses décisions pour le bien être du plus grand nombre, non, il voulait être quelqu'un de suffisamment honorable pour les quelques individus qu'il aimait ardemment. Ces gens là n'étaient pas véritablement nombreux, c'était vrai. Malgré des désaccords nombreux et complexes, on comptait tout de même sa famille, même si certes, il s'entendait moyennement avec sa soeur et ses parents refusaient de le laisser vivre comme il le voulait. En dehors de ce cercle familial plutôt réduit, Sky n'oubliait pas qu'il avait toujours Whizz sur qui compter et même s'ils grandissaient et avaient des vies différentes, ils ne s'abandonnaient pas. Jamais. Et puis, Leo bien sûr qui le suivait depuis l'école primaire et semblait le supporter tellement bien que c'en était frustrant. C'était ses deux idiots d'amis, tout comme il n'oubliait pas Roxanne ou bien Dell avec lesquelles il restait proche et à vrai dire, il ferait tout pour les protéger. C'était son petit cercle, ces gens là étaient avec lui qu'importe où il allait mais c'était aussi devenu une habitude cette petite fraternité, c'était bien mais ce n'était pas toujours suffisant pour être pleinement heureux dans la vie, même si Sky l'était constamment, sans raison particulière. Tout le monde savait que les humains recherchaient désespérément quelqu'un avec qui tout partager, absolument tout. Sky n'avait jamais été franchement touché par le sujet, il n'avait jamais vraiment compris pourquoi ses parents avaient toujours eu ce besoin de se coller, comme une bernique avec son rocher mais il s'était dit que ce serait quelque chose qu'il apprendrait en mûrissant. Finalement, aujourd'hui, Sky réalisait que ce besoin n'avait rien à voir avec l'âge, le temps, le contexte ou la personnalité de chacun, c'était un phénomène universel et intemporel qui arrivait n'importe quand à n'importe qui. Il était touché, enfin touché, à vingt deux ans. Sky ne s'était pas attendu à cette foudre qui vint le frapper sans crier gare, sans raison spéciale non plus mais c'était là, au fond de son âme. Ce besoin constant de voir Manny, de lui parler, de l'entendre rire... C'était un désir qu'il ne pouvait refréner et s'il avait pu, c'était certain qu'il aurait passé ses journées et ses nuits avec elle, juste pour ne pas ressentir le manque, par son absence. Manny était tout ce qu'il n'avait jamais connu avant: elle était spontanée, sincère, ne cherchait pas à le rendre handicapé ou juste complètement fou, elle se laissait porter par leurs délires inconstants. Tout était naturel.

Et tant mieux d'ailleurs puisque Sky avait bien du mal à contenir le nombre d'idioties qui arrivaient à percer jusqu'au centre de son cerveau. Le flot de conneries, lui, était constant en comparaison de tout le reste mais heureusement pour lui, son attitude ne semblait pas faire fuir Manny. Ils riaient en choeur, comme deux idiots, deux imbéciles heureux. Qui aurait cru que cela arriverait à Sky un jour? Car, oui, aujourd'hui était le jour où il se sentait enfin homme. Avant cet instant là, on s'était souvent contentés de le reléguer au statut de gamin immature ou à l'aveugle qui faisait pitié mais jamais, on ne l'avait vu comme Manny le voyait. Comme quelqu'un de viable, quelqu'un qui pouvait apporter quelque chose à autrui, et pas seulement de la compassion ou des éclats de rire... Des émotions. Bon, bien entendu, rien n'était tout noir ou tout blanc et forcément, le naturel revenait vite au galop comme Sky n'avait honte de rien, pas même d'avouer que Whizz s'était déjà amusé à lui faire des couettes ou ce genre de trucs tordus. Tant que Manny ne partait pas en courant, c'était qu'il s'en sortait bien, non? "Ouais, t'as raison, j'vais p'tet arrêter là parce que c'pas hyper intéressant comme anecdote et j'recommence à ruiner mon image de mâle viril... J'te rassure, j'aime pas m'déguiser en fille en plus!" Il avait tenté de rattraper la perche comme il pouvait même si le dérapage avait déjà été incontrôlée et que c'était probablement trop tard. Le meilleur moyen de se sortir de là, c'était de jouer la carte de l'autodérision mais Sky était un roi dans le domaine alors un petit rire, un clin d'oeil et il enchaînait. "Tu ruines tous mes plans, j'sais pas si tu réalises... J'ai pas très envie que t'aies Alzheimer, ça voudrait dire que t'aurais du mal à t'rappeler d'moi... Alors tant pis, ce sera pas une surprise mais ça m'empêchera pas d'le faire... Ou d'trouver mieux bien sûr." Heureusement, effectivement que Sky avait plus d'un tour dans son sacs et qu'il arrivait toujours à trouver les moyens les plus fous de déstabiliser les gens qui peuplaient sa vie même si avec Manny, ce serait probablement la première fois qu'il se creuserait vraiment la cervelle pour que sa surprise soit quelque chose d'important. D'inoubliable car, oui, il avait cette petite tendance masochiste à vouloir être inoubliable, juste à ses yeux à elle. Il ne savait pas vraiment comment tout cela fonctionnait de toute évidence mais il était là pour apprendre, non? Tout comme Manny était là pour répondre à toutes ses blagues d'aveugle. Sur ce coup là, Sky eut même un fou rire, elle était bien la seule à ne pas prendre sa cécité au sérieux parmi ses proches et c'était ce que Sky adorait. Il n'avait jamais vraiment pris sa maladie au sérieux, c'était peut être une grossière erreur d'ailleurs mais il ne voulait clairement pas devenir le type malheureux qu'il avait croisé quelques fois chez le médecin. Il méritait mieux que cela. Il méritait de vivre, comme tout le monde. "J'aurais vécu comment hein, tu peux m'le dire? Atroce de me prendre les portes et plus me repérer nulle part, heureusement que c'pas arrivé..." Et il rit à nouveau, le silence se retrouvant peu à peu. L'ambiance changeait rapidement mais Sky était détendu, paradoxalement. Peut être que pour la première fois de sa vie, il osait être cent pour cent lui même et ce n'était pas une source d'angoisse. C'était une sorte de libération, même s'il n'arrivait pas à oublier qu'il avait tout un tas de sentiments incontrôlables pour Manny. "T'as raison, j'm'en fous de ma vue, j'm'en sors très bien sans et j'ai pas besoin d'ça pour avoir des gens géniaux à mes côtés, la preuve..." Il lui sourit timidement une nouvelle fois, lui qui était toujours si sociable, c'était vrai que Manny le forçait à montrer d'autres facettes de sa personnalité. Pas les plus mauvaises au contraire. Il était peut être énervant pour la plupart des gens puisqu'il était trop volubile et envahissant mais Sky était également plus réservé lorsque la situation le demandait et surtout, il était prêt à tout pour les autres. Et pour elle, c'était pire que tout.

La suite, il ne l'avait pas prémédité du tout mais encore une fois, Sky ne prévoyait jamais grand chose. Il se laissait aller à l'intensité des instants qu'il avait la chance de vivre en espérant qu'il n'avait pas été imprudent ou trop prudent justement. Habituellement, ses moments intenses se résumaient à choisir la musique du jour ou le plat que ferait Whizz le soir même, jamais quelque chose d'aussi important que celui ci. Jamais plus important que ces mots là. Sky n'avait même pas réfléchi à vrai dire lorsqu'il avait osé dire qu'il l'aimait plus que les autres et pour le coup, il avait encore moins réfléchi avant de lui avouer qu'il n'avait qu'un seul regret quant à sa cécité: Elle. Avoir la chance et le privilège même de pouvoir observer sa beauté, connaître le moindre de ses traits, les graver dans ses souvenirs pour l'éternité. Sky pouvait encore le faire mais d'une manière bien différente, par le toucher. Et évidemment, sa main ne se fit pas prier pour venir caresser la joue de la jeune monitrice. Il n'avait rien calculé, encore moins compris ce qu'il était en train de faire, c'était juste un désir qu'il se devait d'assouvir maintenant avant de se maudire et le regretter plus tard. Sky ne pourrait pas vivre avec cela, pas avec le regret. Avec le remords il pourrait par contre. Et si Manny lui disait qu'il allait trop loin, il accepterait de prendre du recul et arrêterait de l'importuner si c'était ce qu'elle désirait... Oui, Sky était prêt à tout accepter venant d'elle mais aussi incroyable que cela pouvait paraître au fond de son crâne, Manny ne le rejeta pas. Elle ne l'invita pas à retourner se perdre sur le circuit ou n'importe où du moment que c'était loin d'elle, elle fit tout l'inverse même, se rapprochant de lui, une main à sa nuque et avant même que Sky n'ait eu vraiment le temps de saisir ce qui venait de se passer, les lèvres de Manny étaient sur les siennes. Sky n'avait pas de point de comparaison, il n'en voulait pas d'ailleurs parce que ce qu'il ressentait pour Manuela n'avait pas d'équivalent dans ce bas monde. C'était tout ce dont il avait toujours rêvé: un baiser léger, doux alors que tout son corps était électrifié. Une fois que Manuela se fut détachée de ses lèvres, Sky ressentit instinctivement le manque. Cette femme était déjà sa drogue, il le savait et même si c'était dangereux, Sky trouvait cela plus que délicieux. Il s'autorisa à sourire d'un air charmeur après coup, sans bouger, légèrement tremblant du surplus d'émotions. Il avait même arrêté de respirer pendant un temps probablement dangereux pour sa survie, il s'y autorisa donc même s'il avait la sensation que ce n'était plus naturel. Mais plus rien ne l'était étant donné que Manny avait conquis son coeur et au delà de ce simple constat, elle avait conquis tout le reste, tout ce qui le constituait. Et Sky ne savait pas vraiment comment lui signaler, il ne savait clairement rien gérer. Comme elle s'était éloignée de lui, son instinct fut de se rapprocher à nouveau, sourire aux lèvres alors que sa main reprit sa place sur la joue de Manny. "J'sais pas c'était en quel honneur... Pour m'faire taire ou pour m'faire taire doublement?" Ou plus encore. Il ne savait pas vraiment mais est-ce que Sky avait su quelque chose un jour? Probablement pas mais c'était aussi bien car il s'autorisait plus de choses, plus de nouveauté. C'était ce fait qui le poussa à faire glisser son doigt délicatement jusqu'aux lèvres de Manny, juste quelques secondes avant qu'il ne se retire, en douceur. "Tu sais, y a un problème avec ce que tu viens de faire, Manny... Parce que ça pourrait être sans conséquence, juste un truc unique, sympa et mignon en même temps... Sauf que moi, je sais intimement que c'pas ça. Etant donné que je vais être fou amoureux de toi après ça." Cela pouvait résonner comme une promesse mais c'était loin de la vérité, c'était un fait que Sky sentait résonner au fond de sa poitrine. Ce n'était que le début et il laissait présager tellement de choses pour quelqu'un comme lui. Il était aveugle certes mais il ne s'arrêtait pas uniquement à cela, des yeux qui ne marchaient plus. Il avait un coeur et plus encore. Un coeur qui le poussa à empêcher Manny de lui répondre tout de suite. Il avait probablement bien trop peur de sa réaction alors précipitamment, après ses quelques mots, il revint attraper ses lèvres. C'était libérateur, c'était comme si finalement, Sky avait trouvé sa place. Auprès d'elle. Avec Manny.

Si on avait dit à Manny qu’elle rencontrerait Sky ce soir et qu’elle terminerait la soirée allongée à ses côtés à regarder les étoiles, il est certain qu’elle ne l’aurait pas cru. D’abord, pourquoi Sky regarderait-il les étoiles? Et puis, en quelle honneur l’aurait-elle croisé? C’était un peu comme un jeu de probabilité et pourtant, ce soir, les astres semblaient alignées pour que la jeune monitrice passé un moment inoubliable. Rapidement, la compagnie de Sky lui avait fait oublier tous les problèmes qui pouvaient survenir à la maison. C’était une autre chose qui lui plaisait autant que ça la fascinait. Comment arrivait-il à lui faire oublier tout ce qui pouvait la tourmenter aussi facilement? Comme s’il avait un don. Ou peut-être y avait-il autre chose. Plus le temps passait et plus Manuela réalisait que ce n’était pas qu’un don. Il était doué, certes, pour détendre l’atmosphère et lâcher toutes sortes de blagues, mais entre eux, il y avait cette chimie indéniable et c’est ce qui rendait Manny aussi confortable aux côtés du jeune homme. L’amour. Jamais elle n’aurait pensé que ça puisse la toucher. Elle était toujours reléguée à la friendzone. Sans doute n’était-elle pas assez fille. Il faut le dire, le maquillage, la mode et Manny, c’était tout bonnement incompatible. Elle avait horreur de ces trucs pour être honnête, même si sa sœur avait tenté de l’y introduire. Pour Manuela, c’était un refus catégorique. Jamais un tube de rouge à lèvres ne toucherait son visage. Elle avait appris, au fil du temps, à s’accepter tel qu’elle était et rien ne viendrait jamais gâcher ça. C’était déjà assez difficile de s’accepter, une fois la chose faite, il n’y avait pas de retour en arrière possible. Et encore moins en ce moment. Pour la première fois de sa vie, Manny avait l’impression qu’on la voyait réellement pour qui elle était. Elle avait souvent levé ses défenses en compagnie d’autres gens, par protection, parce qu’on l’avait déjà trahi, mais ce soir, elles tombaient toutes. Elle était 100% Manuela. Évidemment, il n’y avait que Sky pour accomplir un tel exploit.

Lorsque le son de la voix du jeune homme parvint aux oreilles de Manny, elle sorti de ses pensées pour se concentrer sur le moment présent. Après tout, rien ni personne n’était plus important que Sky. « Qu’est-ce que tu racontes, c’est très viril les couettes. » Lâcha-t-elle avec un autre éclat de rire. « J’suis certaine que ça t’irait bien. » Un petit sourire au visage, Manny n’avait d’yeux que pour Sky. Elle n’arrivait pas à regarder ailleurs. Même le ciel qui était autrefois intéressant n’avait plus d’attrait ce soir puisque Sky était à ses côtés. « J’suis certaine que même si je venais à souffrir d’Alzheimer, je ne t’oublierais pas. Impossible d’oublier quelqu’un comme toi. » Ta gueule Manny, qu’est-ce que tu racontes, lui disait la petite voix dans sa tête. Pourtant, elle avait beau tenté de se contrôler, les mots sortaient sans même qu’elle n’y pense. Peut-être qu’ils venaient du cœur après tout? Peut-être qu’elle n’avait pas, ou qu’elle n’avait plus peur de ses sentiments. « C’est possible de trouver mieux qu’une étoile ou une émission de télévision? J’en doute… » Dit-elle en faisant non de la tête. Parce qu’il n’y avait pas mieux à ses yeux. En fait, peu importe ce que Sky déciderait de faire pour elle, ce serait sans doute déjà trop. Elle n’aimait pas vraiment que l’on dépense son argent, son temps ou son énergie pout tenter de lui offrir quoi que ce soit. Non, elle préférait largement la simple compagnie des gens qui lui étaient chers aux biens matériels et c’était encore plus vrai pour Sky. Elle n’avait besoin que de sa présence pour se sentir bien. Pas d’artifice.

« J’sais pas, t’aurais probablement vécu une vie de misère. Je t’aurais plaint si t’avais eu à vivre cette vie-là. » Dit ainsi, c’était terrible. Pourtant, la vie de Sky ne semblait pas être si pire… Du moins, pas de sa perspective à elle. Il semblait mener une bonne vie, il semblait heureux. C’était ce qu’il laissait paraitre et c’est ce qu’elle voulait croire parce que le savoir malheureux la détruirait sans aucun doute. Même si elle n’était pas la cause de son malheur, Manny savait pertinemment qu’elle tenterait toujours de faire ce qui était en son pouvoir pour rendre Sky heureux, à son plus grand malheur presque. Parce qu’il avait conquis son cœur. Il n’y avait personne d’autre qui importait plus que le jeune homme, il n’y avait personne pour qui elle donnerait tout sans même poser de question, pour qui elle tenterait de décrocher la lune. Elle serait prête à se rendre à l’autre bout du monde pour répondre à ses quatre volontés, aussi folles soient-elles. Les mots qui furent ensuite prononcés par Sky firent fondre le cœur de Manny encore un peu plus. Que pouvait-elle lui répondre? Il n’y avait rien à ajouter. Elle se contenta, encore une fois, de lui sourire. Quel miracle se produisait-il ce soir? Manny qui était à court de mots? Elle qui savait toujours quoi dire, qui avait une réplique pour lui, voilà qu’elle ne savait pas quoi dire. En fait, elle avait mille et une réponses en tête, mais aucune d’entre elles ne semblait adéquate. Et puis, parfois le silence était mieux et voulait dire plus que les mots ne pourraient le faire.

« C’était pour te faire taire et t’éviter de dire des trucs stupides du genre que j’suis ce qu’il y a de plus beau dans le paysage. » Si Manny s’acceptait, elle n’était pas moins consciente qu’elle n’était pas une beauté fatale. Il y avait bien des filles qui étaient supérieures à elle dans le domaine du sex-appeal et de tout ce qui avait un lien avec la séduction. Manny, c’était plutôt le type de fille simple qui ne se prend pas la tête. Si un jour, elle a envie de porter des sweatpants et un t-shirt de sport, elle le fera. Le confort avant tout. Elle était perdue dans ses pensées, mais revint rapidement dans le moment présent lorsque le doigt de Sky vint frôler ses lèvres. Un frisson parcouru à nouveau son corps, se faisant ressentir de la plante de ses cheveux jusqu’au bout de ses orteils.  Tandis qu’elle parlait, inconsciemment, Manny caressa la nuque de Sky du bout des doigts.  Elle stoppa cependant lorsque Sky dit qu’il y avait un problème avec ce qu’elle avait fait. La peur la pris au ventre et soudainement, elle avait envie de fondre dans le sol et disparaitre. Il ne l’aimait pas. C’était tout ce à quoi elle pouvait penser. Il lui demanderait de partir et lui dirait qu’elle venait de ruiner leur relation. Tout ça pour un simple baiser. Son cœur, qui avait cessé de battre en entendant les paroles de Sky, repartit à nouveau quelques secondes plus tard lorsqu’il enchaina, mettant fin à tous les doutes qui avaient empli l’esprit de Manny en quelques secondes seulement. Et il battait vite se cœur, surtout lorsque Sky s’approcha d’elle et que ses lèvres se posèrent sur les siennes avec une douceur infinie. Les yeux de la jeune femme se fermèrent à nouveau afin qu’elle puisse pleinement savourer le moment. Pour seule réponse, Manny laissa ses lèvres reposer sur celles du jeune homme, ne voulant pas qu’il se termine. Tandis qu’elle réciproqua le baiser, elle laissa ses doigts s’entremêler aux cheveux de Sky. Il n’y avait sans contredit aucune sensation plus agréable que celle-là, celle des lèvres de Sky contre les siennes, le courant électrique semblait faire s’éveiller tous ses sens. Pour la première fois de sa vie, Manny se sentait en vie, véritablement. Cette réalisation fit sourire la jeune femme. Était-il adéquat de lui dire qu’elle était amoureuse de lui, qu’il avait conquis non seulement son cœur, mais tout son être? Manny ne savait pas. Elle n’avait aucune idée de la façon dont il fallait procéder. Ce n’était pas son domaine et elle ne voulait rien gâcher. C’est sans doute pourquoi elle laissa ses lèvres contre celles du jeune homme.  Elle ne voulait pas que ce baiser prenne fin. Elle ne voulait pas perdre ce contact qui les unissait de façon plus intime qu’une simple accolade, les faisant passer du stade d’ami à … qu’étaient-ils au fait? On verrait plus tard.

Il aurait pu l'écouter parler pendant des heures sans se lasser une seule seconde. Certes, Sky avait toujours eu cette capacité quasi extra-terrestre à supporter les discours les plus longs du monde sans rechigner une seule fois mais là il n'était clairement pas prêt d'être fatigué. Lorsqu'il était en compagnie de Manny, Sky était un autre homme. Non, il ne changeait pas radicalement d'attitude, c'était plutôt l'inverse, il devenait un peu plus lui même et c'était probablement le processus le plus beau du monde parce que c'était la première fois qu'il expérimentait quelque chose d'aussi intense et beau de toute sa vie. Il était prêt à tout pour elle, pour passer une minute supplémentaire avec elle à ses côtés. Si elle lui demandait de se taire, Sky tâcherait toujours de faire un effort pour la satisfaire, il était prêt à ce genre de sacrifices parce que pour lui, être avec elle nécessitait tout ce qu'il pouvait lui donner. Il était peut être trop puéril la plupart du temps et dès qu'il ouvrait la bouche, c'était rare que ce fut pour dire quelque chose de capital ou même intéressant mais Sky avait la sensation de grandir plus vite depuis qu'il avait la chance de côtoyer Manuela. Peut être que vieillir, c'était juste cela, trouver la bonne personne avec qui tout partager: les bons comme les mauvais moments et même lorsque les événements étaient désastreux, trouver en l'autre la force nécessaire pour continuer était ce qu'il y avait de phénoménal. Sky n'avait pas toujours été aussi optimiste, c'était clair que ce trait chez lui n'était pas né du jour au lendemain mais il avait évolué pour en arriver jusqu'ici, avec elle. Si Manny l'avait vraiment connu lorsqu'il était encore voyant, il y avait des chances qu'elle n'aurait même pas posé un oeil sur lui. Ce Sky là était différent de la version actuelle; il était peu confiant lorsqu'il s'agissait de faire face à la vie, il avait peur de tout et surtout de ce que les gens étaient capables de lui faire. Ce n'était plus le cas: sa maladie lui avait apporté ce qui lui avait toujours manqué, cette confiance en lui, certes un peu étrange aux yeux des autres mais primordial pour lui, et cette capacité à tout surmonter. Inconsciemment, Sky espérait qu'il pourrait être la personne qui apporterait la force à Manny durant les jours d'orage, oui, il espérait que ce qui était en train de se passer entre eux était plus qu'un simple jeu voire même un rêve dont il allait se réveiller, incroyablement déçu. Non, Sky ne pourrait probablement pas le supporter si tout ce qui était arrivé ce soir relevait uniquement du mensonge le plus cruel de toute sa vie. Manny était importante pour lui, ce n'était pas un fait nouveau, non, c'était quelque chose qui avait été là dès la première réplique cinglante qu'elle avait apporté à une de ses blagues ridicules sur son propre handicap. Non, ce qu'il ressentait était juste améliorait désormais. S'il adorait le ton de sa voix, sa manière de rire au moment le plus inopportun ou sa réserve, désormais, il était totalement sous le charme de ces quelques faits, sans compter tous les nouveaux qu'il avait eu la chance de découvrir au cours des excursions qu'il avait pu mener et qui l'amenait sur le chemin de la jeune monitrice.

Effectivement, le tout se passait de mots au bout du compte. Sky avait probablement trop parlé, il en avait trop dit mais il ne pouvait pas regretter ses aveux. Il pensait toujours tout ce qu'il disait de toute évidence et Manny devrait faire avec cette vérité. Elle devrait probablement gérer le fait qu'elle avait un aveugle qui comptait la suivre jusqu'à ce qu'elle en ait marrer de lui. Sky espérait que ce ne serait pas pour tout de suite. Il n'était pas prêt de la lâcher, en témoignait les gestes tendres qu'il faisait envers elle, lui caressant la joue ou l'embrassant avec tendresse. Il était quasi certain qu'il ne pourrait jamais arrêter ce jeu là, c'était déjà en train de se marquer au fer rouge dans ses souvenirs les plus fous et Sky n'effacerait jamais une soirée pareille. Il y avait les étoiles et il y avait elle, la personne dont il allait tomber amoureux sans condition et sans concession. Personne ne pouvait savoir où cela mènerait, certainement pas Sky qui s'accrochait aux lèvres de Manny comme si c'était elle qui était capable de lui apporter du souffle, et c'était peut être le cas. Sa vie avait été si fade avant qu'elle ne débarque pour tout effacer d'un revers de main et se faire sa place avec autorité dans le coeur du jeune homme. Sky ne voulait plus rien d'autre. Il ne voulait personne d'autre et même s'il avait osé lui dire qu'il l'aimerait probablement plus que tout et pour un laps de temps indéfini, peut être éternel, ce n'était rien à côté du baiser qui lui donnait parce que c'était aussi cela, aimer quelqu'un. Et s'il n'avait jamais su en quoi le tout consistait et les étapes à passer pour que ce soit cohérent et réaliste, Sky se laissait porter par le vent et c'était tout aussi magique. Il n'y avait pas vraiment d'étiquettes sur ce qui se passait entre elle et lui mais peut être qu'ils n'avaient pas besoin d'en mettre tout de suite. L'important, c'était de profiter de l'instant, profiter de l'autre jusqu'à ce que le besoin de déterminer leur relation soit un besoin capital. Il viendrait bien assez tôt, probablement dès le lendemain mais pour Sky, il n'y avait pas une once d'hésitation: il la voulait, elle. Et il espérait qu'il lui serait suffisant. Combien de temps restèrent-ils ainsi? Sky n'en avait pas la moindre idée mais dès qu'il reprit contact avec la terre ferme, la température s'était rafraîchi, d'après l'odeur, c'était la nuit noire. Et il pensa soudainement à ses manières, il n'était pas un profiteur et il ne voulait pas lui apporter des ennuis directement alors il se releva sur ses deux jambes, entraînant Manny avec lui pour la lever à son tour et il lui sourit lorsqu'elle atterrit dans ses bras avant de lui baiser le front et lui dire. "Sache, ma chère, que je ne dis jamais de choses stupides lorsque c'est à propos de toi. Ou de ce que je ressens pour toi. Mais chaque chose en son temps, tu le sauras bien assez tôt... Tâchons déjà de te ramener chez toi, vu l'heure." Il ne cherchait pas de réponses, clairement pas même, il se contenta d'actionner leur marche jusqu'au centre de la ville. Ils se quittèrent là, Sky quasi incapable de la lâcher mais finalement, il l'écouta tourner les talons, le sourire aux lèvres et le coeur battant la chamade. Il allait l'aimer comme il ne pourrait plus jamais aimer une autre personne. Manny. Et dieu seul savait où ils allaient ou même ce qu'ils étaient mais Sky rentra chez lui avec l'intime conviction qu'il le saurait bien assez tôt... L'amour collé au coeur et l'esprit rempli de Manny, il dormit à poings fermés cette nuit là.