Vivre dans le noir complet, c'était tout un programme au premier abord. Ouais, seulement en premier lieu quand on était Sky. C'était le monde autour de lui qui faisait en sorte de rendre sa vie plus compliquée qu'elle ne l'était en réalité. Quelle idée à la noix de foutre des marches sans prévenir à l'avance du nombre de pas qu'il fallait faire avant de se casser la gueule comme un idiot sur les pavés. C'était probablement dans le regard des gens également, mais sur ce point, Elliot n'avait jamais été franchement dérangé. Lorsqu'il voyait encore à plus de deux mètres, il s'en fichait déjà pas mal de ce qu'on pouvait dire de sa personne ou sur son humour à la noix. Au final, le problème qui persistait en plus des quelques chutes inévitables et les passages réguliers chez le médecin du village, c'était sa famille. Parce que chaque Elliot dans les parages le prenait pour un handicapé notoire et il était un peu fatigué de devoir répéter toute la sainte journée qu'il allait bien, qu'il n'avait pas besoin d'une canne ou de la pitié des gens mais juste d'être considéré comme le premier débile mental de base. Allez avoir pourquoi son père ne trouvait pas ses remarques tellement marrantes mais Sky n'arrivait pas tellement à changer d'attitude. Être lui même devait foutre le bourdon aux trois quarts des personnes qui devaient le côtoyer au moins dix minutes par jour mais le jeune brun considérait qu'il n'avait pas tellement intérêt à accepter d'être la poupée du système ou des moutons qui lui bêlaient à la tronche trois fois plus qu'une personne lambda... Peut être parce qu'il terminait dans leur champ plutôt que dans celui des chevaux mais cela, c'était un autre souci qui, quoique récurrent semblait amuser la galerie des Fenley alentour. Il fallait dire qu'un aveugle qui s'occupait des chevaux, c'était un peu comme une tentative de suicide du haut du haut de l'Everest en se disant qu'on aurait rien de cassé une fois arrivé en bas. Autant dire que c'était une idée de merde, clairement. Et c'était justement parce que c'en était une que Sky avait décidé que c'était l'opportunité du siècle. S'il pouvait emmerder son père et le monde entier dans la manœuvre, il prenait, c'était bien son genre.

Pour le coup, il devait éviter de manier la fourche histoire de pas massacrer trop de gens au passage. Et bien sûr, il y avait toujours quelqu'un dans le coin pour le surveiller parce que, disons le, il n'était pas tellement l'employé de l'année. Autant avec les chevaux, il se débrouillait comme un as, autant avec toutes les autres tâches, c'était le roi des boulets au pays des nuls à chier. Au milieu de tout ce tintamarre, Sky pensait qu'il gérait à peu près la situation sauf qu'il y avait toujours Leo derrière pour récupérer ses conneries et heureusement d'ailleurs. Mais pour Elliot, c'était du pareil au même. Tout ce qu'il voulait, c'était son indépendance et après des années à trimer, il l'avait finalement obtenu de la manière forte contre son père. Ce n'était pas censé être une fierté à vrai dire mais c'était bien la seule façon qu'il avait eu d'opérer, sa famille avait quelques problème de communication, lui le premier d'ailleurs.
Pour l'heure, Sky sifflotait en filant à manger aux chevaux. Jusqu'ici, il n'avait pas défoncé trop d'outils qui traînaient dans le coin, il ne s'était même pas pris de portes ou de râteaux -au sens propre et figuré, ce qui devait constituer un miracle dans son vocabulaire- et Leo lui avait même laissé suffisamment d'espace pour qu'il s'occupe d'une tâche à lui seul. Double miracle de la journée. Et ce qui était bien quand on était aveugle, c'était qu'on était capable de repérer les gens d'une manière un peu différente du reste des gens. Sky connaissait le bruit des pas des gens qu'il côtoyait le plus, il repérait les parfums des uns et des autres avec une facilité déconcertante et le timbre de voix permettait bien souvent de lui prouver qu'il avait raison sur ses suppositions. Grâce à sa méthode purement révolutionnaire, il avait vite compris que le dernier arrivé dans le coin, c'était son pote et colocataire de renom, le cher Whizz Fenley. "T'es aussi discret qu'un éléphant dans une église, ma parole. T'es de mauvais poil, c'est ça? Qui t'a fait des misères? Me dis pas que c'le cheval de la voisine que t'aimes pas. T'es pas sortable, mec, je te jure. Parole d'aveugle." Encore son humour de merde, pas étonnant que les gens étaient vite fatigués de voir sa gueule mais il semblait que Whizz avait des gènes qui l'immunisaient, tant mieux, parce qu'il ne voudrait certainement pas se prendre un coup de fourche dans le fessier.

Ses lunettes posées sur son nez, une main constamment portée à l’une des branches pour vérifier qu’elles tenaient bien en place, et ne pas risquer de les faire tomber, il semblait ne plus voir le monde de la même manière et pas seulement parce qu’il l’observait à travers des verres teintés. Il manquait d’intérêt pour tout, ce n’était pas rare en soit c’était comme ça qu’il était, mais cette fois-ci il pouvait bien sentir la différence; à cette indifférence se mêlait un vague sentiment de dégoût qu’il n’avait encore jamais eu pour rien, et ce même quand sa mère s’était mise en tête de lui faire manger du chou-fleur, qu’il avait vomi quasiment la minute d’après. Ce n’était pas la même désinvolture qu’on lui connaissait et même un aveugle l’aurait deviné, même si ce-dernier le connaissait assez pour ne pas avoir besoin de l’aide des autres pour le sentir. Whizz se perdait dans des pensées auxquelles il n’était pas habitué, dans des états qu’il n’avait jamais fait que percevoir chez les autres, et il lui était de plus en plus difficile d’arriver à se déconnecter du monde pour s’enfermer dans cette bulle qui l’aidait à se sentir bien, cette sorte d’autre monde où il se perdait constamment et qui faisait dire aux autres qu’il était un éternel rêveur. Lawrence ne rêvait plus, il cauchemardait et le tout en étant éveillé et pourtant il ne s’en plaignait pas, comment aurait-il pu quand malgré sa perte il restait mieux lotie que son meilleur ami ? Quelle horreur de penser de la sorte, mais il n’arrivait pas à s’en empêcher, quelque part ça l’aidait à relativiser un peu et pourtant il s’en voulait.. Lui qui, jusqu’ici, avait pour méthode de ne jamais s’arrêter à ce genre de choses, de ne jamais porter d’attention particulière à ses remords et ses regrets, se retrouvait à regarder par-dessus son épaule et farfouiller dans les souvenirs. Sky l’avait toujours impressionné par sa capacité à passer outre, à continuer d’avancer avec fierté quand pourtant on semait des obstacles et que la pitié suintait des pores de tout ceux qui se trouvaient sur sa route. Malgré tout il avait su rester le même idiot, à garder cet humour qui avait tendance à souvent fatiguer Whizz, alors pourquoi ne parvenait-il pas à faire pareil ? Pas qu’il se targuait d’être aussi fort que son meilleur ami, mais il avait cru que peut être, sans doute, il était aussi courageux. Au lieu de ça il se tairait dans son trou, repoussait les autres et s’évertuait à chercher des coupables partout. Ce n’était pas tant les regards qui l’énervait, parce qu’au final peu de gens avaient entendu parler de son accident - ou plutôt de son passage à tabac et donc de son hospitalisation -, c’était surtout de ne pas parvenir à passer outre, à continuer d’avancer sans se préoccuper de ça. Sans doute fallait-il s’adapter, mais ça lui prenait du temps et plus il attendait que ça passe, et plus il se montrait infect.
Replaçant ses lunettes il se recula légèrement quand le taureau de la piste de l’arène, que des types essayaient de tenir pour qu’un autre grimpe sur son dos, s’approcha dangereusement de la contre-piste en donnant l’air de vouloir sauter par-dessus. Pour garder bonne figure, Whizz se détourna et retourna à son travail pour aller chercher un des chevaux, les traits tirés en une expression de sérieux impassible, si criante de différence de son air neutre ordinaire. Il venait de croiser Leo aussi, alors forcément il cachait mal son agacement. Et même si le jeune homme tenta de le dérider d’une petite blague, le Fenley lui répondit d’un haussement d’épaules avant d’entrer dans l’écurie.

A l’excitation qu’il ressentait en ces lieux se faisait désormais sentir une sorte d’anticipation et de nervosité. Parce qu’il savait qu’avec son angle mort c’était dangereux, Whizz se surprenait à craindre un coup mal placé, ou autre chose auquel il ne songeait pas. Mains dans les poches, sucette en bouche, il retira une de ses mains pour attraper le baronnet et observer Sky alors qu’il s’imaginai surement être discret. Peine perdue; son meilleur ami était aveugle, pas sourd. Retirant la sucette de sa bouche, il soupira avant de se frotter le front de son autre main et s’appuyer contre un porte de box, à quelques mètres du jeune homme, l’observant travailler en s’étonnant encore de ses gestes qu’il semblait faire de mémoire. « T’essaie d’me dire que j’ai pris du poids ? » S’asseyant sur une caisse, après avoir vérifier qu’elle était assez solide, il termina sa sucette en croquant le bonbon, s’amusant du bâton en appuyant sa tête contre le bois dans son dos. « Pourquoi j’serais d’mauvaise humeur ? Parce que j’t’ai pas amené le p’tit dej au lit c’matin ? Pardon j’savais pas qu’on était passé du statut de coloc’ à celui de couple. » Pour appuyer ses paroles il récupéra un bout de caoutchouc sur le sol et le lança sur la tête de Sky en soufflant, parce que malgré tout il avait raison; Whizz était de mauvaise humeur mais ces derniers temps il l’était très souvent. Surtout depuis que Trish était venue à la ferme et même s’il se refusait à vouloir repasser en boucle les souvenirs qu’il considérait comme ratés, il devait bien admettre que pour le coup .. Et bien s’il avait pu revivre ce moment, il l’aurait surement modifié. « J’me d’mande si t’es pas un peu sénile en plus d’aveugle, parce que tu pars dans des trucs.. C’est Manny qui t’met d’aussi bonne humeur ? » Et un demi-sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu’il replaçait le bâton de sucette dans sa bouche en fixant le plafond, un regard vers la droite en entendant des sabots sur le plancher d’un box. Le dernier cheval que son oncle avait fait amener à la ferme était une véritable teigne, et même pour Whizz qui pourtant adorait ces bêtes-là c’était peu de le dire. « Comment ça s’fait que Leo soit pas collé à ton cul, t’as trouvé un produit pour t’débarasser d’lui ? » Il ne cacha pas le ton légèrement méchant en parlant de lui et se pinça les lèvres en jouant de sa langue sur le bâton dans la bouche, avant d’attraper la fourche qui trainait au sol pour appuyer son front contre le manche.

Il y aurait bien un moment où il se bousillerait le crâne par terre ou quelque chose du style, il était tellement inconscient. Ce pauvre Sky continuait à se sentir invincible, c'était ridicule à son âge, surtout quand on n'avait pas consommé un litre d'alcool... Ouais, chez lui, c'était naturel, ce qui s'avérait deux fois plus dangereux. Il n'y avait qu'à imaginer un aveugle qui traversait la rue, sans canne, sans chien, sans aide... Sky ne pouvait compter que sur ses oreilles. Il pensait que c'était toujours suffisant, que jamais il ne lui arriverait de catastrophes parce qu'il avait quatre sens sur cinq qui fonctionnaient à merveille. Sur le papier, c’était encore vrai mais personne n'était infaillible. Aucun voyant ne l'était et lui, et bien, il était certainement en bas de la liste des gens capables de s'en sortir seul. Pourtant, Sky ne comprenait pas la peur bleue que ses proches avaient quand il le savait dehors, le soir, alors qu'il n'avait personne pour le soutenir. Il ne comprenait rien, il était jeune, il était stupide. Et son immaturité ne semblait pas prêt de le quitter, malheureusement pour le shérif qui devait passer ses jours et ses nuits à espérer que son gamin retrouverait le droit chemin. Peine perdue. Le misérable avait choisi de se rapprocher des Fenley, autant dire que cela n'entrait pas vraiment dans les plans de cher Elliot senior mais de toute façon, ils n'étaient pas en très bons termes ces derniers temps. A croire que Sky n'avait pas encore digéré la gifle que son père lui avait foutu et pourtant, il avait été clairement insolent. Dans tous les cas, il faisait comme si rien ne l'atteignait et cela devait marcher à merveille vu que personne ne lui demandait s'il allait bien ces dernier jours. En apparence, Sky était toujours le type le plus heureux de la terre, c'était à se demander s'il n'était pas joyeux à l'idée d'être un aveugle perdu au milieu d'une armée de gens qui le prenaient en pitié. C'était peut être le cas mais c'était surtout sa façon à lui de réagir face à un mal qu'il n'avait pas pu éviter réellement. Pourtant, plusieurs fois, il s'était dit que s'il était allé voir un médecin plus tôt au lieu de croire que sa baisse de vision rentrait dans l'ordre de choses établies, peut être verrait-il encore aujourd'hui. Cela aurait pu être une réalité mais l'issue aurait été la même, il aurait été aveugle un jour ou l'autre. Malheureusement. Alors, il acceptait ce don bizarre et en faisait une force. Certes, il ne voyait rien, il ne pouvait que dessiner dans son esprit les visages des gens qu'il avait connus ou bien créer de toutes pièces une apparence à ceux qu'il venait tout juste de rencontrer mai cela n'enlevait rien aux sensations qu'il pouvait avoir. Sky pouvait sentir le vent le toucher, chaque son était décuplé et chaque musique qu'il pouvait entendre était une beauté qu'il était presque certain que personne autour de lui ne pourrait comprendre. Son handicap, c'était ce qu'il était au plus profond de lui même et il avait bien du mal à accepter que sa famille cherche à tout prix à le faire devenir voyant d'une façon ou d'une autre, que ce soit par une canne, un chien ou une aide quelconque. Il était probablement chiant avec ses principes à la noix sur le sujet mais il était tellement têtu que même dans cinquante ans, il serait toujours l'aveugle qui se péterait le nez en confondant la porte avec la vitre. Ouais, les baies vitrées étaient probablement ses pires ennemies à l'heure actuelle et du lave vitre, cela, il en avait avalé au fil des années... Mais ce n'était probablement pas le truc auquel il pensait sur le moment.

Non, Sky pensait plutôt au fait que Whizz était probablement le type qui traînait le plus des pieds de l'histoire de l'humanité. Pour sûr qu'Hulk à côté passerait crème dans l'épicerie du village, voire même Godzilla à ce stade. Mais pour ne pas vexer un borgne de mauvais poil, Sky se contenta de son humour du jeudi -ouais, c'était le jour où son humour était le moins marquant dans les annales des blagues nazes ou outrancières- en souriant tant bien que mal. Cet abruti foutait de l'avoine partout sur ses godasses mais bon, il réagit à temps pour relever le sac et sourire comme un idiot en imaginant la tronche de Whizz. Même si les années passaient, il n'oubliait pas les expressions les plus caractéristiques des gens qu'il connaissait par coeur. "Du pois, je sais pas mais putain, tu dois ruiner tes semelles en marchant comme un ours là. Non pas que t'es un ours quoique... En y réfléchissant, il doit y avoir un air de ressemblance niveau attitude." Et il tenta de poser le sac dans le coin où on était censés le ranger sauf qu'il renversa une pile de fourches au passage. Et pourtant, il trouvait encore le moyen de trouver cela marrant. "Bon, tant pis, quelqu'un nettoiera mon cirque... Comment ça tu savais pas qu'on était en couple? Ca fait p'tet trois ans que mon statut Facebook, c'est en couple avec l'autre tanche de Fenley. Faut te mettre à la technologie, vieux, sérieusement, tu t'encroûtes." C'était une connerie bien entendu, Sky n'avait même pas de téléphone et il ne connaissait même pas encore bien le braille à vrai dire alors utiliser Facebook et ce genre de délires, ce n'était pas franchement son genre, c'était probablement plus Ally qui aurait pu, éventuellement, créer un compte factice et faire ce genre de trucs étant donné qu'elle le trouvait un peu trop proche de Whizz. Jalouse, hein? Elliot s'approcha de son ami, se repérant à la voix, comme à son habitude et il réussit même à lui tapoter l'épaule sans se planter et lui foutre une gifle à la place. Il était vraiment en train de s'améliorer niveau gestion de l'espace, bientôt il réussirait à trouver son lit sans foutre le pied dans la poubelle. "Je vois pas de quoi tu parles. T'es sûr que t'entends pas des voix, toi? Je suis un type normal..." Il tenta de rester stoïque en entendant la suite, c'était bien connu que Sky était le type le plus détaché du monde... Ou pas. "Quoi Manny? Pourquoi Manny? C'est quoi le rapport? En plus, je l'ai pas vu aujourd'hui alors je vois franchement pas pourquoi tu dis ça, sérieusement." Ouais, sérieusement. Sky capta finalement le ton de Whizz, cela aussi c'était un don qu'il avait gagné à ne plus rien voir même en plein jour, et le misérable fronça les sourcils en croisant les bras. "Pourquoi je détecte un certain dédain dans ton timbre de voix, Whizz? Tu me cacherais pas un truc en rapport avec notre coloc' toi? Dis moi pas qu'il a laissé ses slips sales dans ta chambre, ça, c'est franchement grave. Faut envoyer la CIA sur le coup... Et pour te répondre, il doit être en train de laver des selles ou je sais pas trop quoi." Humour de merde et Sky, un lien de cause à effet obligatoire. Et malheureusement, c'était Whizz qui prenait. Toujours Whizz.

Accepter l’aide des autres, se faire à sa différence, finalement il semblait que Lawrence comprenait de mieux en mieux son meilleur ami. Certes jusqu’ici il s’était toujours débrouillé pour tenter d’être le plus détaché possible, continuant de voir Sky comme le mec qu’il avait toujours connu, passé du statut de simple petit frère d’Allé à l’emmerdeur qui lui collait aux basques.. Et qu’il laissait faire. Fallait bien l’avouer, si Sky n’était pas devenu ce qu’il était aujourd’hui à ses yeux, Whizz n’aurait sans doute pas connu les changements que la présence du fils Elliot avait apporté à sa vie. Il se plaignait constamment, parce que Sky laissait toujours trainer quelque chose, même quand c’était pas vraiment lui le coupable, il râlait continuellement quand le jeune homme se prenait une porte - soit disant que le bruit produit par le choc l’ennuyait bien plus que le fait que son ami se cassait le nez toutes les huit heures - mais il n’avait aucun regret quant à l’importance qu’il lui donnait. Sans l’avouer pour autant, parce qu’il fallait pas non plus trop lui en demander. Quelque part ce qui était arrivé à Sky, obligeait Lawrence à se remettre continuellement en question, à s’ouvrir un peu plus aux autres quand il avait une forte tendance à se contenter du petit cercle qui se formait autour de lui, incapable de voir plus loin que le bout de ses chaussures parce que le reste du monde l’effrayait un peu, parce que s’ouvrir à tout ça c’était laisser passer tout ce qui allait avec. Les émotions, les sentiments, les peines, les regrets et les remords. Ca lui donnait très souvent mal au crâne, mais c’était sans doute ce qu’il lui fallait pour que Whizz devienne enfin quelqu’un, au lieu de se complaire dans ce rôle du fantôme, du mec en vitrine devant lequel on passait sans vraiment le voir, parce qu’être transparent ça valait mieux que de se faire remarquer; ça aidait à éviter les problèmes. Tu parles. Ca l’avait pas empêché de se prendre la raclée de sa vie, surement qu’il l’avait mérité, il avait du être un sacré emmerdeur dans une autre vie ça expliquait peut être qu’il soit aussi déconnecté et calme de nos jours.. Ca devait compenser. Sans doute que Sky ça avait été l’inverse dans une vie antérieure; un mec invisible devenu un emmerdeur bavard et marrant.. Enfin quand on essayait de passer outre le fait qu’il avait un humour assez pourri et surtout qu’il fallait appel à une bonne dose de second degrés. Une chance que Whizz arrivait à relativiser, même si on devait se demander souvent comment ils arrivaient à se supporter; y avait probablement pas plus atypique comme duo dans le coin. Le déconneur et le silencieux. Ils se complétaient bien au moins. Même si Leo venait un peu casser l’image, et ce malgré toute la bonne volonté que Whizz pouvait mettre à essayer d’être aussi courtois que possible.. Pas gagné. Si Sky pouvait sentir la mauvaise humeur de Lawrence simplement par sa façon de marcher, il avait surement du sentir la tension par la façon de respirer du jeune homme, pour sa manière de mâcher ses légumes peut être. Ca l’aurait surement mieux arrangé si Sky avait été sourd plutôt qu’aveugle, ce qui aurait pu arriver vu la sale habitude du fils Elliot de monter le son dès qu’il aimait un morceau à la radio. Il avait quand même réussi à casser le poste dans la voiture de la mère de Whizz avec ses conneries. « Au moins tu sauras quoi m’offrir pour mon anniversaire non? Te plains pas, j’t’aide à trouver des idées en avance, tu d’vrais me r’mercier. La réflexion sur l’ours arracha un air un peu dédaigneux au Fenley qui récupéra encore un truc au sol pour le jeter sur la tête de Sky. Ca m’fait penser qu’y a plus d’miel. » le dos appuyé contre la planche derrière lui, Whizz étala ses jambes en croisant les chevilles, le regard vers le plafond en sifflant, jouant du bâtonnet entre ses doigts.

Récupérant une des fourches sur le sol il soupira en fermant l’oeil droit, grimace au visage en sentant la main de Sky sur son épaule; pas qu’il n’appréciait pas le contact, seulement il avait pris l’habitude de se méfier de ses gestes et la perspective d’une baffe ne l’enchantait pas plus que ça. Tendant la main il attrapa son ami par le coude et l’aida à s’installer en soupirant, pour la forme, virant une vis qui trainait sur la caisse près de lui, des fois que le jeune homme avait en tête de s’asseoir. « Trois ans ? J’dois penser à t’acheter la bague qui va bien alors. Normalement j’dois la récupérer d’ma mère, donc ça t’gène pas d’attendre encore un peu avant qu’on officialise ? » Il ne s’était pas gêné pour envoyer une légère tape à l’arrière du crâne de Sky en se penchant, appuyé sur le manche de la fourche, à tourner la tête vers le box où le cheval recommençait légèrement à s’agiter. Il allait attendre Whizz s’octroyant une légère pause, et il s’autorisa même à retirer ses lunettes de son nez, se frottant l’arrête en soupirant, avant de fermer l’oeil droit pour réaliser que rien n’avait changé; il continuait à voir comme dans un brouillon et de nuit. Les lunettes sur le sommet du crâne il s’amusa un peu avec l’outil, essayant d’attraper une feuille qui trainait sur le sol en piquant dedans. « T’emballes pas bonhomme. Tu devrais travailler le ton et la nervosité quand on met son nom dans une conversation, c’pas crédible ce faux air détaché. Mordillant sa lèvre inférieure il sourit. T’as raison, j’dois entendre des voix. » Se relevant pour s’éloigner un peu vers l’animal énervé, il tendit la main vers les naseaux du cheval pour le caresser un peu, avant de revenir sur ses pas pour piquer le sac que Sky tenait quelques minutes plus tôt et tendre une poignée à la bête qui sembla se détendre, s’occupant de manger ce que venait de lui déposer Whizz. Appuyant les mains sur la petite porte du box, la fourche à côté de lui, il tendit les bras pour faire craquer son dos en se penchant un peu en avant, retenant une réflexion mauvaise. Un regard vers Sky il sentit comme une pointe étrange au creux de la gorge, acide et brûlante; de la culpabilité sans doute. Le pauvre n’avait aucune idée de ce qu’il se tramait autour de lui et ne pas pouvoir lui dire, parce que Lawrence se refusait à semer la zizanie, déjà bien présente chez les Elliot, en racontant ce qu’il savait, ce dont il se doutait et ce que les comportements du Shérif et de Leo lui avaient confirmé. « Si j’te disais qu’il a trouvé ta collection de magazines pornos en braille.. Non? Ca l’aurait presque fait marrer cette réflexion s’il essayait pas d’imaginer sérieusement à quoi pouvait ressembler un magazine porno pour aveugle. Surement que si ça existait pas y avait un truc à faire avec ça. Non j’disais juste ça comme ça, te monte pas la tête. Juste qu’il f’rait mieux d’bosser plus plutôt que d’te suivre, l’oncle commence à faire la liste des gens à remercier.. Nul besoin de préciser à Sky qu’il était hors de portée de cette menace de renvoi; tant que Whizz restait là, son oncle n’irait pas virer son meilleur ami, surtout qu’il s’était porté garant de l’aveugle.. Et qu’il avait pas trop à s’en plaindre au vu des circonstances. Rien à voir mais.. j’pensais adopter une tortue. J’pensais à des rats au début mais j’me suis dis que tu serais capable de leur marcher dessus et Leo de foutre des tapettes à souris partout. On pourrait l’appeler Caroline, ça diminuerait la dose de testostérone qui suinte dans la baraque. » C’était des conneries, surement. Parce que déjà que Whizz avait du mal à s’occuper de ses proches et de lui-même, alors un animal. C’était peut être une manière délicate d’amener le sujet d’un animal domestique sous le toit, peut être pour placer l’idée d’un chien .. En douceur, à la Whizz. « J’ai pensé au poulain aussi, mais j’pense pas que ça t’plairait de partager ta chambre avec. » Il s’était retourné vers l’animal pour le fixer en lui caressant le dos.

Ce qui était bien avec Sky, c'était surtout qu'il n'avait pas franchement besoin de champignons hallucinogènes pour être à côté de ses pompes, avec lui, c'était cent pour cent naturel. Il était probablement le seul habitant du village à être capable de se perdre dans son propre appartement et trouver la situation vraiment drôle. Peut être qu'il était carrément immature ou peut être qu'il se cachait tout simplement derrière son insouciance pour ne pas montrer qu'il était fatigué de ne pas être comme tout le monde. Même si Sky semblait immuniser contre les regards des gens alentour et donc la connerie humaine, cela ne voulait pas dire qu'il n'était jamais blessé lorsqu'il entendait des remarques un peu stupides à son égard. Il avait un coeur même si, en apparence, il avait plutôt l'air d'être doté d'un distributeur de conneries sans interruption, ce pauvre Elliot avait bien des émotions. C'était peut être pour cela d'ailleurs qu'il préférait prendre tout à la rigolade parce qu'il n'avait pas tellement envie de devenir cet homme aigri et en colère pour un rien. Après tout, était-ce la faute de Buffalo s'il ne voyait absolument plus rien? Pas vraiment. C'était la vie qui avait joué avec lui et comme un idiot, il l'avait laissé faire, il ne regrettait pas tellement de s'être laissé porté par le courant, ce n'était pas vraiment Sky de réfléchir ainsi de toute manière, mais il ne pouvait tout de même pas s'empêcher de penser que la vie était un peu injuste. Il y avait des gens ici qui avaient fait bien pire que lui, qui passaient leur journée à parler dans le dos des autres ou à comploter contre tout et n'importe quoi... Et ils avaient des résultats, c'était le comble. Sky n'avait rien de tout cela, même lorsqu'il essayait de draguer une pauvre âme humaine du sexe opposé, il finissait la joue rougie ou bien la gueule par terre parce qu'il avait momentanément oublié la marche. Cela dit, il se confortait en se disant qu'il n'était pas le seul à devoir subir cette injustice. Whizz était désormais borgne lui aussi, à croire que le destin se foutait un peu de leur gueule en les mettant en duo, envers et contre tout. C'était clair qu'ils avaient une sacré dégaine quand on les voyait traîner ensemble, ce qui revenait à dire que c'était le cas vingt quatre heures sur vingt quatre. L'aveugle et le borgne, une paire d'as... Ou pour la plupart des gens du coin, une paire de losers. Pourtant, pour Sky, il n'y avait personne de plus important dans sa vie que Whiz Fenley. Il l'avait toujours pris pour son grand frère, un frère à l'opposé de sa personne. Mais c'était libérateur pour lui de pouvoir parler toute la sainte journée en étant presque certain qu'en retour, il aurait le droit à trois mots d'approbation en signe que Whizz n'avait probablement pas écouté le moindre mot de son discours inaudible. Allez savoir comment c'était possible qu'un type aussi taciturne que Lawrence arrivait à habiter avec un type comme lui mais Sky se sentait comme le gars le plus chanceux au monde... Ouais, rien que cela. Peut être que c'était parce que sa famille ne comprenait pas vraiment ce qu'il avait dans le crâne ou n'acceptait pas sa décision un peu folle de vivre une existence normale malgré un handicap plutôt gênant ou bien peut être était ce tout bonnement dû à son grain de folie qu'il se coltinait depuis la naissance, mais dans tous les cas, Sky se plaisait bien avec Whizz. Pas si étonnant qu'on disait d'eux qu'ils étaient le couple le plus gay de la ville, vu comment ils se vannaient sur le sujet toute la sainte journée, il y avait de quoi écarquiller yeux et balancer des rumeurs sur leur compte.

Ce n'était pas pour rien qu'ils étaient amis depuis si longtemps, ils étaient deux chieurs de premières mais il n'y en avait pas un pour assumer sa réputation. Bon, de temps en temps, Sly avait un léger éclair d'illumination qui lui faisait comprendre qu'il était un peu invivable et que ce n'était pas si étonnant si aucune nana n'avait envie de le voir plus de trente minutes par jour, mais au final, Whizz valait toutes les nanas du monde. Ou bien c'était ce que Sky se disait pour justifier sa solitude flagrante et de longue durée. "Parce que tu crois que j'avais prévu d't'acheter un cadeau? Vu comment tu m'fais chier, j'étais encore en train d'hésiter, t'vois." Connerie. Cela faisait peut être trois mois qu'il avait acheté une fourche flambant neuve qu'il avait caché dans le coffre d'un des tracteurs, il avait même tenté, à l'aveugle, d'y accrocher un noeud rouge. Aucune idée du résultat mais en y pensant, Elliot se disait que le cacher là, cela n'avait pas dû être l'idée du siècle m'enfin... "C'une manière d'm'dire d'aller faire les courses, c'ça? Tu sais bien qu'à chaque fois que tu m'demandes d'acheter un truc, je ramène pas le bon. L'dernier coup, j'ai confondu le savon et le beurre, merde." Il était vraiment incapable de faire quelque chose correctement, on se demandait comment c'était possible qu'il ne se soit pas encore fait virer. Un miracle, un de plus dans ce monde de conneries. Heureusement que Whizz était quand même là pour le diriger parce qu'à tous les coups, Sky aurait encore fini le cul ou la gueule par terre, il osa même s'asseoir sur la caisse à côté de son ami, timidement parce qu'il avait eu peur que ce soit encore une mauvaise blague et qu'il termine le cul dans la peinture. Putain. "Oh non, t'fais chier, sérieux! Ca fait deux ans que j'attends le jour où j'irais balancer à mon père qu'on va se marier, toi et moi. Bon, tant pis, on va attendre encore un peu mais j'compte sur ta gueule, hein?" Et il se mit à rire, comme s'il était vachement fier d'être con. Ce qui était le cas d'ailleurs, relativement. Le jour où il aurait des vues -façon de parler bien entendu- sur Whizz, ce serait certainement lorsque les fameux champignons hallucinogènes auraient grillé son cerveau déjà pas en bon état. Non, son problème le plus récurrent, c'était les femmes, ou plut^t le fait qu'il était incapable d'en attirer une et comme il n'était pas très doué, le moindre prénom de l'une d'entre elles le rendaient rouge comme une pivoine ou juste complètement débile. Comme Manny. "J't'en foutrais du faux air détaché. Je suis détaché, j'te dis. J'suis tellement détaché que je saurais pas t'dire comment ça fait d'être attaché t'vois... Enfin presque. Mais tu m'perturbes là aussi à dire un tas de conneries, merde." A chaque fois, il s'embourbait dans ses propres paroles, à chaque putain de fois. Mais il finissait en riant en balançant une grande claque dans l'épaule de Whizz. "Oups. J't'imaginais pas si près, Jeanne d'Arc!" Et c'était un mensonge sur ce coup là. Il était peut être aveugle mais pas totalement impotent non plus. Et il entendit Whizz se relever et aller nourrir le cheval que Sky avait presque fini tuer par mégarde au moins trente fois lors des deux derniers jours, même s'il niait les faits en bloc, bien entendu. "J'lis pas d'porno. J'lis pas tout court alors tu peux faire mieux niveau tentative de décrédibilisation. D'nous deux, c'toi le pervers. Et c'un peu débile la liste d'ton oncle soit dit en passant, de Leo et moi, on sait tous les deux c'lequel le plus incapable." Et il disait le tout en souriant, Sky avait conscience qu'il n'était pas l'employé du mois. Il ne prenait peut être rien au sérieux mais il captait lorsqu'il bousillait le travail d'une année en moins de trois secondes, il ne culpabilisait pas pour autant mais il en avait conscience, c'était un début. Et Sky releva la tête vers le plafond, en se demandant s'il n'y avait pas eu transfert d'esprit entre eux deux durant les deux dernières minutes. Ce genre d'idées à la con, c'était les siennes d'habitude. "T'veux qu'on ouvre une SPA à l'appart'? Moi, je suis totalement opé' t'sais, j'suis tellement doué avec les animaux qu'on me surnomme le Brigitte Bardot des aveugles. Pas mal, hein? Par contre, si on pouvait éviter le poney, l'crottin, ça sent trop fort!" Et le pire dans l'histoire... C'était probablement que Sky y croyait vraiment. Il ne faisait pas semblant d'être dans le délire, putain.

Le problème avec Lawrence c’était que peu importait le mal, bien que ça se voyait pas forcément, qu’il se donnait pour se mêler un peu plus aux autres, créer des liens et même s’essayer à tout ce qui faisait craquer les gens de sa génération, il y avait de sacrés ratés. Soit parce que son manque d’intérêt pour tout, ou le fait que sa capacité émotionnelle était aussi développée que les paroles d’un rappeur à la sauce Black M, avaient tendance à pousser les autres à prendre leur distance et ça il se rendait de plus en plus compte à quel point c’était regrettable. La preuve en était qu’il lui avait fallu le départ de Landon, son aîné, pour réalisé à quel point il ne connaissait rien de lui, rien de ce qu’un frère devrait savoir sur les siens, et que son absence pesait sur ses épaules; s’il n’en parlait généralement pas, peu expansif sur le sujet de ses émotions, Lawrence découvrait l’angoisse, rongeant ses organes et s’insinuant dans ses veines, de recevoir un jour ce fameux courrier annonçant qu’il avait raté le coche. Qu’il ne pourrait jamais connaître son frère. Qu’il était mort en se battant pour d’autres, quand Lawrence peinait à s’y intéresser. Et s’il s’en rendait compte, cela ne l’empêchait nullement de reproduire les mêmes erreurs avec les frères restants; il ne s’adressait plus qu’à Lincoln pour le blesser à la hauteur de ses propres blessures, récoltées par sa faute comme il persistait à le penser, quant à Levi, cela restait un miracle s’il parvenait à le croiser seulement deux secondes dans les rues de la ville. Non, définitivement, Whizz n’était pas le genre de personne qu’on gardait son carnet d’adresses pour passer sur son nom et sentir l’envie de reprendre contact grandir au fur et à mesure des jours. Ce n’était même pas certain qu’il marque les mémoires, du moins pas autant qu’il aurait un jour l’espoir de le faire. Il ratait tout, et même quand on avait espoir qu’il réussisse, qu’il aille loin, Whizz trouvait l’idée de se tirer une balle dans le pied comme celle de l’année. Pas de regrets malgré tout, parce que ça servait à rien de s’apitoyer sur le passé, sur les occasions manquées et les amis perdus dans le sillage. C’était ce qu’il continuait de se marteler, mais progressivement il s’essoufflait; l’excuse du détachement ne tenait plus et il le savait. Il le savait tellement bien, et il n’avait qu’à voir la silhouette de Trish hanter les rues de la ville pour comprendre à quel point. En voulant éviter de souffrir il s’était fait plus mal qu’il ne le montrait, et surement que la seule personne à réellement s’en douter était l’aveugle à ses côtés; parce qu’il ne le voyait pas, il se contentait d’entendre et de sentir. En ça Whizz enviait certainement Sky, parce que s’ils étaient visiblement aussi doués l’un que l’autre, quelque part cela lui permettait de se sentir bien moins seul dans ce cafard qui le rongeait et qu’il ne maitrisait aucunement. Sky était là et en ça il était la différence. Il était cette personne dont Lawrence avait toujours eu besoin pour lui apprendre à ouvrir les yeux, paradoxe quand on réalisait qu’il fallait que ce soit Sky, touché par la cécité, qui apprenne à Whizz comment voir. Comment regarder. La seule chose qu’il semblait trouver dommage, c’était que le jeune Elliot était arrivé un peu tard dans sa vie et qu’il ne pouvait s’empêcher - comme sa mère qui l’avait fait remarquer à voix haute pendant un repas - de se demander ce qu’aurait été sa vie, sa personnalité, s’il avait fréquenté le garçon bien plus tôt, sans passer par Ally pour le rencontrer. Il n’aurait certainement jamais parier sur cette tournure des événements, mais au final elle était bien meilleure que toutes celles qu’il avait imaginé. C’était Sky, sa personne. Et simplement pour ça, Whizz ne l’aurait sans doute échangé contre rien, à part peut être une nouvelle paire de chaussures.. « Trêve de plaisanteries.. J’avais une idée. J’pas envie d’me taper une fête de famille, surtout quand tu vois la gueule d’la famille.. Du coup j’pensais.. Un tour en bagnole en-dehors de Buffalo, ça t’dis ? Nonchalant comme il en avait l’habitude, il regarda l’ongle de son annulaire et le plaça entre ses lèvres pour le ronger légèrement, histoire de l’égaliser avec les autres ou un truc du genre, avant de lever son oeil bleu vers le jeune homme.  M’enfin si j’te fais chier, rester plus de douze heures dans une voiture avec moi.. Bha j’demand’rais à quelqu’un d’autre.. P’t’être à Leo.. » Il fit la moue, sans cacher son éternel demi-sourire moqueur; pas besoin de voir pour deviner aisément l’air qu’affichait Whizz.

Dire qu’il n’arrivait plus à passer du temps sans Sky restait encore bien éloigné de la réalité. Il n’y était accroché, Lawrence parvenait à retrouver son indépendance et il avait même parfois besoin de s’éloigner de lui pour reprendre ses habitudes de solitaire mais ces derniers temps, pour être précis depuis quelques mois, il avait besoin d’avoir ces quelques heures de tête-à-tête. C’était devenu clairement difficile de les obtenir à la collocation, surtout parce que Leo mettait son nez, et son grain de sel par extension, dans toutes les tentatives de Whizz de retrouver une certaine cohésion avec Sky. Il n’était pas forcément jaloux, ou peut être un peu mais depuis qu’il avait découvert les effets de ce sentiment il le gérait très mal, mais il parvenait encore difficilement à se voir dans un trio et non un duo. Leo était certainement bien plus utiles à Sky, sur le plan du pratique et du confort, en l’aidant à tout va quand lui se contentait de diriger son ami par quelques remarques, un air un peu distant. Nul doute qu’à choisir entre quelqu’un de dévoué et un type aussi doué que lui pour se déplacer, Sky irait choisir le premier; c’était bien ce qu’avait fait le shérif non? A la minute où Whizz avait rejeté son offre, il avait été cherché plus docile et dévoué à son prochain. S’il avait songé à accepter ? Non. Il n’avait pas besoin qu’on le paie ou même qu’on le lui demande pour s’inquiéter pour son meilleur ami, et sa loyauté n’avait de toute manière pas de prix, mais il en voulait au père de Sky pour avoir inclus Leo dans leur tandem si fonctionnel. A croire que l’univers entier cherchait à l’empêcher de réellement connecter. Il avait déjà manqué son occasion avec Trish, de toute manière il semblait aussi doué en relation amoureuse qu’une planche de bois, si en plus on venait ruiner son amitié, la seule chose encore précieuse qui lui restait. Le regard perdu vers le bout de ses chaussures, il laissa échapper un long soupir en relevant la tête vers son ami. « Ouais merci, j’ai compris l’truc depuis qu’ut m’as ramené du shampooing pour cheveux colorés au lieu du tube de mayonnaise. Il fit mine de réfléchir avant de taper la main sur sa cuisse et de surenchérir. J’comprends mieux pourquoi j’faisais des bulles après ma tartine du p’tit dej! » Un regard en l’air, il roula des yeux et fut tenté, l’espace de quelques secondes, de laisser Sky tomber à terre en l’écoutant, faussement fatigué de ses âneries, qu’il appréciait plus qu’il ne le laissait voir au final. « J’peux toujours t’offrir un d’ces trucs des filles de New York là.. Un pendentif cadenas, j’porterais la clé autour d’mon cou. T’étonne pas après si on nous prend pour un vieux couple gay qui s’assume à moitié! » Terminant le tout par une petite claque derrière le crâne de Sky, juste pour la forme.
Secouant la tête en écoutant le pauvre idiot bafouiller quelques incohérences, essayant de se draper dans le peu de dignité qu’il lui restait, il sourit. Une chance que ce fut Whizz face à lui, qui avait surement autant de dignité que lui sur le sujet des filles, sinon nul doute qu’il en aurait pris pour son grade. « J’te crois, j’te crois. T’es tellement détaché que c’dur d’te suivre après. J’dois m’inquiéter si c’moi qui t’perturbe plus que Manny, ou bien ? » Il cligna de l’oeil aveugle et haussa l’épaule quand la main de Sky la cogna, pouffant légèrement. Ébouriffant les cheveux du jeune homme, Whizz s’intéressa à son cheval, se penchant un peu par-dessus la porte du boxe pour jeter un oeil aux sabots et aux jambes, tapotant l’animal sur le flanc en souriant. « Toi aussi tu veux qu’j'te tâte le flanc ou ça va aller? Tournant la tête vers Sky, par réflexe, il ne cacha même pas le ton clairement railleur. Si j’voulais vraiment t’décridibiliser, Sky, j’parlerais du costume de cowboy que j’ai vu dans tes affaires quand t’as emménagé. » Épaules haussées à nouveau il se mit à siffler pour toute réponse concernant le sujet de son oncle et la liste des possibles remerciés. Habitude chez Whizz dès que Sky se dépréciait, parce que c’était un fait établi que Lawrence était aussi doué pour réconforter, ou rassurer, qu’un chiffon usagé. Le front contre celui du cheval, la main tendue pour lui donner une des pommes du seau à ses côtés, il souffla légèrement sur l’animal pour le calmer. S’il n’était pas doué avec les humains, Whizz s’en sortait plutôt bien avec les animaux; Sky comptant comme une catégorie à part de l’espèce humaine. « Exagère pas non plus Brigitte. J’sais pas, j’m’dis qu’ça pourrait être sympa non? Même si toi et Leo demandez autant d’attention qu’un animal domestique, ça m’ferait du bien j’pense .. J’hésite encore sur l’animal en question.. Un qui fasse moins d’saleté que toi, ça s’rait bien. » Attrapant le licol, il le plaça sur la tête du cheval, avant d’ouvrir le boxe pour faire sortir la bête en évitant de s’énerver et revint près de Sky pour l’attraper de sa main libre et l’aider à se relever. « Viens par là.. Non l’cheval, j’parlais à Sky, tu t’calmes.. J’l’amène au circuit mais viens, j’aurais trop peur de t’retrouver enfourché en revenant. On sait jamais c’qui peut arriver en cinq minutes. M’prend pas la main par contre, s’tu veux que les rumeurs sur notre liaison cessent.. m’enfin s’tu veux qu’ce soit officiel, ça m’gène pas. »

On ne se rappelait même plus la dernière fois où il avait dit un truc vraiment intelligent, ou même censé. Il était même probable que ce soit dans une autre vie, pas celle là. Sky était réputé pour ses délires à répétition, il était fort capable de décider qu'aujourd'hui serait le jour où il adopterait un canard en plastique, qui l'appellerait Robert et qui le traînerait en laisse derrière lui pendant les prochaines vingt quatre heures. Non pas que cela lui était déjà arrivé mais c'était une possibilité. Ses parents ne l'avaient jamais suivi. Lorsqu'ils étaient à table, il fut un temps, personne n'écoutait vraiment ce qu'il pouvait bien raconter. Là où Ally excellait, Sky foirait. Pour le coup, lorsqu'il contait à qui voulait bien l'entendre qu'il avait révolutionné le laboratoire de chimie du lycée en échangeant les bouteilles d'acide sulfurique avec les bouteilles d'eau, il n'y avait pas grand monde qui réagissait réellement. C'était peut être pour cela d'ailleurs qu'il était toujours dans l'excès, aujourd'hui comme hier pour être correct, on ne le remarquait pas. Ou alors si on le remarquait, c'était toujours lorsqu'il était dans l'échec. Les seules fois où son père s'était senti véritablement concerné par ce qu'il avait à dire, c'était le jour où il recevait le fameux bulletin scolaire ou lorsqu'on l'appelait pour un rendez vous ô combien chaleureux dans le bureau du principal du lycée. Au tant dire qu'il était souvent concerné pour lui foutre des gifles ou des punitions, mais lorsqu'il s'agissait de réagir à sa cécité, il n'y avait plus personne au tournant. Alors, pour continuer sur la même rengaine et faire chier son monde de la plus belle des manières, Sky inventait des stratagèmes ridicules pour donner un peu de piment à sa vie et à celle des gens qui l'entouraient. Retrouver un hamac monté n'importe comment dans le salon de la colocation, trouver un motif de manifestation ridicule devant le saloon, remplacer le shampoing de Whizz par des reliquats d'oeufs... C'était le Sky d'aujourd'hui. Un Sky pas très mature, on se l'accordait, mais un Sky qui ne se laissait abattre par rien du tout dans ce monde. Il avait tant perdu à attendre que les choses s'arrangent alors qu'il aurait pu prendre le taureau par les cornes et aller consulter avant de ressembler à Gilbert Montagné sans les lunettes, le piano et la voix qui sentait le cabécou. Au final, non, il ne lui ressemblait pas tellement, il était juste aveugle comme lui et un imbécile heureux. Peut être qu'un jour, cela changerait. Dans quinze ou vingt ans, quand il constaterait qu'il avait peut être trop laisser couler des occasions de faire quelque chose de sa carcasse ou devenir quelqu'un d'important pour une autre personne, peut être qu'il y réfléchirait réellement. Sur l'instant, son mot d'ordre, c'était plutôt de profiter de ce qu'il avait encore et le principal dans l'histoire, c'était probablement sa voix, son cerveau et des jambes en état de marche pour allier les deux. Et malheureusement pour eux, ceux qui devaient subir maintenant que Sky restait plutôt en mauvais termes avec sa famille, c'était ses colocataires. Si Leo était un peu comme lui à raconter n'importe quoi n'important, avec Whizz, c'était un choc des cultures. Quand il y pensait, Sky se demandait à quel moment ils avaient décidé d'être les meilleurs amis du monde. Pour Elliot, c'était certainement une idée de génie mais ce que Whizz avait eu à gagner de cette situation, c'était encore un mystère à percer à ce jour. Dans tous les cas, Sky n'avait pas vraiment de souvenirs de comment c'était arrivé, le résultat avait été là au bout du compte et Fenley avait délaissé sa soeur aînée pour accepter de se faire suivre à la trace par le mini Elliot toute la journée. Et le pire dans cette histoire, c'était que Whizz acceptait même que ce soit le cas nuit désormais, si cela ne ressemblait pas à du masochisme, rien ne l'était pour sûr.

Et ouais, c'était fichtrement bizarre de les voir toujours ensemble, à raconter un peu n'importe quoi, à rire comme des idiots quand on voyait leurs différences autant au niveau du caractère que de l'attitude mais tout ce que les gens pouvaient dire à leur sujet n'intéressait clairement pas Sky. A vrai dire, les rumeurs et les ragots, ce n'était pas tellement sa tasse de thé, il préférait passer ses journées et ses soirées dans son petit monde où seuls les licornes et les pandas semblaient vivre et en harmonie par dessus le marché. Il était toujours heureux, même quand le monde entier était malheureux. Il souriait toujours, même quand tout le monde pleurait autour de lui. Au final, c'était peut être pour cela que les gens l'aimaient, il était rassurant à toujours être le plus fort là où il y avait le malheur, certainement parce qu'il n'avait pas bien saisi l'ampleur du désastre pour les gens alentour... Ou même lui même, parfois. C'en était navrant pour le reste de sa famille, qui se demandait quand est-ce qu'il allait se réveiller, surtout son père, le shérif, qui devait passer ses nuits à se poser l'ultime question: quand-est ce que Sky deviendrait un homme. Au sens propre comme au figuré, d'ailleurs. Son fils, lui, semblait s'en ficher pas mal, il vivait dans l'ignorance la plus total du monde adulte. A priori. Puisque évidemment, il gardait bien en tête qu'il était un peu retardé sur tous les sujets importants... Mais pas sur l'amitié. C'était certainement pour cela qu'il consacrait pour ainsi dire tout son temps à Whizz et à tout ce qu'il pouvait lui proposer. Même quand c'était des road-trips un peu étranges qui sortaient de nulle part. "T'as buté quelqu'un, c'ça? T'es en fuite? Le FBI te recherche? J'serais même pas étonné avec toi..." Toujours le cerveau à mille à l'heure lorsqu'il s'agissait de partir dans des délires mais Sky revenait vite sur terre lorsqu'on envisageait de le laisser en dehors de l'aventure. "Comment ça demander à Leo? C'hors de question, c'moi qui squatte le siège passager, j'choisis la musique et la composition des sandwiches aussi.. La destination, tu t'démerdes et pour payer l'essence aussi parce qu'avec toutes les retenues sur salaire des trucs que j'ai cassés, c'un peu la pauvreté là. Oui, j'suis un super ami, j'veux pas de commentaires désobligeants sur ma personne." Il balança son plus beau sourire angélique avant d'enchaîner. "Ah et arrivés à destination, tu m'lâches pas pour la première blonde qui passe ou j'te rase la tête dans ton sommeil, respecte tes potes en galère un peu." Et il gesticulait comme un forcené en n'arrêtant pas de parler, dieu ce qu'il pouvait être fatigant parfois. Mais ce n'était pas aussi affreux que lorsqu'on lui confiait une tâche quelconque et qu'il ruinait la journée de tout le monde en étant foutrement incapable d'acheter de la mousse à raser... Ouais, il était capable de confondre des fraises et des bananes également et la liste était encore longue. De temps en temps, c'était Whizz qui faisait les frais de sa maladresse notoire, ce qui faisait rire Sky, même lorsqu'ils se remémoraient tous deux de ses conneries passées. "Ouais mais dis toi que t'auras jamais eu aussi bonne haleine que ce jour là! T'peux me remercier vieux parce qu'avoue que sans moi, tu serais complètement paumé dans la vie..." A moins que ce soit l'inverse mais cela, Sky n'oserait jamais vraiment le dire sauf si la mort semblait proche. Jamais donc puisqu'il se sentait incroyablement invincible, l'idiot. "Parce que t'écoutes les gens toi? J'suis sûr que non parce que sinon tu saurais que tout Buffalo nous croit PD depuis le jour où t'as dû me porter sous la pluie au milieu du village parce que je m'étais fait une entorse en voulant faire du roller... Alors que j'y vois rien. Alors une clé autour du cou franchement, ça choquerait personne." Mais n'importe quoi, sérieusement et pourtant, Sky continuait de sourire comme si c'était tout à fait normal de dire à son meilleur ami que devenir gay avec lui était la constitution logiquement de la suite des événements. Sérieusement. Mais apparemment, Whizz jouait sur le même tableau alors ils étaient deux cons bien heureux ensemble. "Quand t'auras une voix aussi enchanteresse que Manny, ouais tu pourras t'inquiéter... Mais d'ici là, bah, tu resteras le type qui m'fait le p'tit déj' au lit, c'déjà un privilège, t'as d'la chance." Et il lui lança un clin d'oeil, Sky s'était repris et ne montrait plus de signe de vulnérabilité, ce devenait de plus en plus difficile de passer pour le mec le plus détaché du coin quand il était complètement paumé dans ses baskets neuves. "Arrête de fumer des joints, va." Ce fut la seule réponse de Sky en entendant sa remarque sur les flancs du cheval, Whizz était grave parfois. "T'sais que l'costume de cow boy, c’était ce que j'allais t'offrir pour tes trente ans, c'con p'tain, tu t'gâches tes propres surprises." On se justifiait comme on pouvait, n'est ce pas. "J'suis aussi propre qu'un écureuil, raconte pas d'conneries, j'laisse pas traîner mon urine partout, ça fait sûrement chier Janice du coup m'enfin. Et t'prends l'animal qu'tu veux du moment qu'il soit suffisamment sonore pour que j'marche pas dessus quoi." Et il se releva pour se laisser entraîner dehors par Whizz et le cheval rebelle, écoutant les répliques débiles de son meilleur ami. Ils devraient franchement aller consulter et pas un conseiller conjugal non, un psy ou quelque chose du genre en vu de leur santé mentale ô combien précaire. "T'es vraiment con, ma parle. J'peux marcher tout seul hein, j'suis pas handicapé moteur. Bon ok, ça dépend des jours, de l'humeur et du taux d'alcoolémie m'enfin quand même... J'suis capable d'aller au circuit tout seul hein... Même quand j'veux pas y aller, j'y termine t'façon." Et il partit devant en tentant d'écouter alentour pour savoir où il se dirigeait, sauf qu'avec le vent, c'était plus difficile de vérifier ses trajectoires. "T'me dis s'y un arbre hein?" Il cria sa question à Whizz avant de continuer à avancer en sifflotant, comme un imbécile heureux. Qu'il était définitivement.

Ce n'était pas parce qu'il était réellement capable de se perdre dans une pochette surprise de la taille d'une limace que Sky allait accepter qu'on le traîne en laisse à tous les coins de la rue. C'était la première règle de base de toutes les règles à la noix qu'il avait édités dans un livre plein de règles invisibles puisqu'il n'était pas franchement en mesure d'écrire la moindre règle sur un papier qui traînait. Enfin si, il pouvait en fait, il avait appris à écrire mais il ne captait pas franchement les lignes alors il pouvait tout aussi bien être en train de tatouer un cochon d'inde qu'il ne le réaliserait une fois qu'un bonhomme patate d'un mètre de largeur ornerait l'arrière train de ladite créature. Il était un peu comme cela Sky, il était capable d'utiliser ses sens encore disponibles beaucoup mieux que tous les gens de ce village réunis mais comme il était toujours en pleine réflexion en plein mouvement, c'était un peu comme s'il était sourd, aveugle et manchot, oui, tout cela en même temps. Cela dit, il n'était pas muet, le plus grand regret de toute la population assurément. Pas le sien, bien entendu. Parler, c'était son plus grand confort même s'il savait fort bien que moins d'un pour cent de ce qu'il racontait n'avait une importance primordiale dans sa vie, celle des autres et le futur de toute l'humanité. Et même si Sky avait conscience de son inutilité flagrante dans la vie du village, il adorait être le clown de service, c'était sa manière un peu particulière d'exister. Au moins, dans toute cette histoire, Sky était à peu près sûrs d'exister à l'oeil de Whizz. Des années que le blond supportait ses éclats de rire à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, même devant la télévision en audiodescription, ce qui devait clairement faire chier le Fenley. Mais c'était comme un pacte entre eux, personne ne disait rien quand l'autre le faisait royalement chier, certainement parce qu'ils se doutaient l'un comme l'autre qu'ils étaient les meilleurs amis de la Terre et que le concours des années, des merdes qui pourraient leur tomber sur le coin du nez, l'un serait toujours là pour l'autre. C'était leur amitié, ils n'avaient pas besoin de se faire des déclarations d'amour au soleil couchant ou de s'acheter des bracelets de l'amitié à deux centimes dans le coin bibelots de l'épicerie, même parler n'était pas nécessaire et même si Sky ne pouvait pas voir Whizz, il savait que c'était vrai. C'était dans l'air, cela circulait aussi vite que les conneries qu'il débitait dès le lever du jour et à chaque fois, cela le mettait tellement de bonne humeur qu'il avait la banane pour le restant de la journée. Ce n'était pas pour autant que Sky irait faire un câlin à son pote ou lui acheter des milliards de cadeaux parce que bon, ce n'était franchement pas son genre, il était socialement maladroit. Mai pas autant que Whizz, ce qui semblait être une réussite dans son petit monde. "Tu comprends pas mon art, c'tout. Et j'veux bien faire une activité mais ça voudrait dire investir dans un chien d'aveugle... Donc à moins que ce soit toi qui fasse ce rôle, j'abandonne." Il lui lança son sourire colgate de gamin insolent en terminant sa phrase. Sky aimait bien jouer avec l'humeur des gens la plupart du temps, Whizz le premier et c'était peut être sa plus belle preuve d'amour même si les gens qui en pâtissaient devaient plus le voir comme une manière de les inviter gentiment à le balancer dans un coffre puis d'une falaise dans un lieu reculé.

C'était l'incompréhension qui causait ce genre de réactions un peu vives mais Sky ne répondait jamais à la violence de certains ou aux jugements des autres. Il était aveugle, et alors? Il était chiant, oui, certes, mais pas au point de provoquer des disputes ridicules. Finalement, le shérif avait peut être fait une chose bien en l'éduquant un peu de travers: il lui avait appris le respect et la politesse. Bon, ok, cela ne changeait rien au fait qu'il ne s'arrêtait jamais de parler, que personne ne pouvait vraiment en placer une surtout quand il était nerveux et au final, il était un véritable désastre mais un désastre attendrissant, non? Il l'espérait inconsciemment sinon il resterait probablement seul jusqu'à la fin de sa misérable vie. Pour le moment, Sky s'amusait de la conversation avec Whizz, quelque part, il était fier de le voir parler aussi longtemps, lui qui était si taciturne au début, c'était un peu son travail de rendre Fenley plus ouvert aux gens... Et si ce n'était encore que quelques personnes, c’était déjà un point de départ dont il était l'instigateur premier. Sa petite fierté personnelle et c'était peut être pour cette raison que sur le moment, il souriait d'un air béat même si le fait que Whizz remette en cause sa capacité à préparer des sandwichs ne s'y prêtait pas vraiment. "Tu m'fais vraiment pas confiance quoi. C'pas parce que j'me goure en faisant les courses que j'vais t'préparer un sandwich au pétrole et au slip sale. Non, mais c'pas croyable ça." Non, peut être pas à ce point là mais il se planterait certainement d'ingrédients quand même. Si seulement il apprenait à se concentrer sur son toucher au lieu de rêvasser, il serait certainement l'aveugle le plus voyant de toute la population. Ouais, si seulement... "Merci d'prévenir. Comme ça, je peux déjà prévenir l'association des malvoyants d'un fait d'maltraitance de ta part. Et attends pas d'moi que j'te jette des oranges à la gueule quand tu seras dans une combi' orange, la gueule de travers, deux dents en moins et à nettoyer les poubelles hein." Ce fut à son tour de lui tapoter l'épaule, d'un air plus compatissant que mesquin. Même quand il essayait d'être un peu énervant avec Whizz, il finissait toujours par faire son ami protecteur, c'était invivable cette affaire... Sauf quand il mentionnait le nom de filles qui le rendaient encore plus débile qu'il ne l'était habituellement. Là, il baissait la tête et attendait que l'effet se passe, en silence, avant de relancer le sujet. "Arrête avec ça, me lance pas là dessus ou relève pas, j'en sais rien mais ça me rend con, tu vois. Ouais, con. Et puis, fais gaffe parce que je peux très bien de poser tout un tas de questions à propos de Trish en retour." Et un clin d'oeil. Monnaie rendue. Chaleureusement par dessus le marché. Au moins, pour parler, il était bon. A défaut du reste. A défaut de gérer avec les filles qu'il aimait bien, c'était une mini satisfaction en vue du contexte mais heureusement, Sky se reprenait bien vite lorsque la machine à conneries était relancée. "Hors d'question que j'pionce dehors. De un. De deux, t'es tellement gaga avec moi qu'avec un porcelet, j'imagine pas... Tu t'la joues dur à cuire, Whizz, mais p'tain, t'es le premier à chialer devant Dirty Dancing. Et nie pas, j't'ai entendu l'autre soir." Il avait une bonne mémoire aussi, malheureusement pour les gens qui comptaient le prendre pour un con. Cela ne marchait que rarement, peut être justement parce qu'il donnait l'impression d'avoir un QI proche de zéro alors qu'il était plus intelligent que la moyenne, juste trop à l'ouest pour l'utiliser à bon escient. Et puis, cela le saoulait qu'on le prenne pour un attardé alors Sky pensa que de partir devant, en aventurier à la Indiana Jones était probablement la meilleure idée qu'il avait eu. Une minute plus tard, il fallait bien se rendre compte que ce n'était pas le cas surtout que les indications de Fenley le perdaient plus qu'autre chose. "Tu me déconcentres là, laisse faire marcher mon aura, bordel." Si seulement il en avait un, sauf qu'il était encore endormi à cette heure ci. Et même si ce fameux aura était encore en état de marche, Sky fut tiré en arrière par un Whizz affolé d'une brouette sauvage... Comme s'il ne l'avait pas vu... Bah oui, justement, il ne l'avait pas vu et concentré sur l'arbre inexistant, il ne l'avait pas non plus entendu, quelle déception. Mais par contre, Sky entendait bien le cheval qui s'affolait à côté d'eux. Pas besoin d'un septième sens pour cela heureusement. "Laisse moi gérer ça, il va t'botter l'cul là, tu l'énerves trop... Et pour ton info, j'poste pas de recherches amoureuses dans l'journal. Beau parleur." Et il caressa l'encolure du cheval, tentant de calquer sa respiration sur la sienne, le pire, c'était qu'il avait l'air de se calmer. Peut être qu'il n'était pas si inutile que cela, finalement. "Prends en de la graine sur Indiana Jones ici présent. A force de t'la jouer Swayze avec les nanas, t'as perdu toute subtilité avec les animaux Whizz... Il t'survivra jamais ton porcelet. C'déjà un miracle que j'te survive." Et dans cette phrase, Sky confessait à moitié sa dépendance. Parce qu'il avait besoin de Whizz pour ne pas se prendre d'arbres, ne pas se faire écraser par une voiture ou un cheval égaré. Il avait tout bonnement besoin de Whizz pour avancer dans la vie.

Cela ne devait certainement pas paraître au premier abord mais Sky avait du courage. Après tout, il était un cas sur des milliers et c'était plutôt rare dans un petit village comme Buffalo de constater qu'il y avait un handicapé dans le lot des quatre mille habitants. Bien entendu, il valait mieux éviter de le traiter d'handicapé, il en rirait pendant trois heures. Sky était aveugle mais ce n'était pas non plus une tare, hormis, bien sûr, lorsqu'il foirait plus ou moins tout ce qu'il entreprenait de près ou de loin. Ce n'était pas de la mauvaise volonté cela dit, c'était ce qu'il était déjà avant que ce drame ne lui arrive. Même adolescent, Sky n'était pas le stéréotype du garçon parfait ou en tout cas bien sous tous rapports et à coup sûr, il n’avait jamais été le gendre idéal. A vrai dire, il était nul à chier. Dans tout, ou presque. Il avait bien tenté le sport, notamment le basketball à ses douze ans mais le fait était que lorsqu'on voyait le monde à la façon Sky, on avait autant de chance de shooter dans le panier que de devenir LeBron James. Au final, le sport n'était pas vraiment pour lui parce qu'il courait à côté, ne voyait pas les balles ou les ballons et risquait plus souvent de se casser une cheville que de gagner un quelconque trophée. On aurait pu penser que c'était parce qu'il n'avait rien d'un athlète mais en vue de sa taille, sa réactivité et sa carrière, Sky aurait probablement pu faire avenir... Ouais, pu. Lorsqu'on perdait la vue à un si jeune âge malheureusement, il était préférable de revoir ses priorités et ses ambitions à la baisse et Sky l’avait probablement compris rapidement. Non, il n'était pas idiot encore moins impotent, il manquait juste de chance. A ce stade, on pouvait même dire qu'il avait un karma pourri de A à Z. S'il y avait n serait ce qu'un seul arbuste dans les dix kilomètres alentour, le brun trouverait toujours le moyen de finir la gueule devant. Comme il le disait lui même, c'était une question d'habitude même si personne ne pouvait vraiment nier le fait qu'il avait du courage à revendre. Sa famille ne l'applaudissait pas pourtant d'une telle performance, ils se contentaient tous de le sermonner pour tout ce qu'il pourrait faire de meilleur. A croire qu'ils ne comprenaient pas que Sky ne souhaitait pas devenir le représentant syndical de l'union des aveugles réfractaires, il ne voulait pas devenir Ray Charles non plus et encore moins le Superman des personnes en situation de handicap. C'était déjà suffisamment compliqué d'être un homme normal, il n'allait pas non plus se compliquer la vie à devenir un prodige dans un domaine quelconque. Ouais, c'était un voeu bizarre, mais Sky voulait être le type le plus banal de cette planète. En comparaison des centaines d'âmes qui rêvaient de marcher sur la lune, être sous le feu des projecteurs ou guérir le cancer, lui voulait juste garder ses amis, se marrer, se faire une petite vie des plus normales en travaillant au ranch jusqu'à la retraite. Et peut être qu'avec un peu de chance, quelqu'un ne le prendrait pas trop en pitié et il pourrait avoir des enfants plus tard. Si ce n'était pas le cas, il pourrait toujours adopter un porcelet avec Whizz, un petit Remy et ils se relayeraient pour lui donner le biberon. Ouais, la vie lui offrait encore tout un tas de possibilités qui ne le poussaient pas encore dans le sac poubelle, tout cela parce qu'il était aveugle. Sky avait encore un travail, ce qui pouvait être un miracle quand on voyait son niveau de productivité chez les Fenley. Même sa famille avait encore du mal à supporter ses attitudes insolentes d'autrefois, Sky se doutait que les Elliot l'aimaient réellement, à leur façon, donc plutôt maladroitement certes mais c'était déjà mieux que rien. Et puis, il avait Whizz et Leo, c'était probablement les deux mecs les plus cinglés dans cette ville, lorsqu'on l'excluait de la liste mais Sky n'aurait probablement pas voulu avoir comme ami quelqu'un de la trempe de son père. Toujours droit, sérieux et acharné. Mine de rien, Sky aimait bien leurs moments d'immaturité, leurs plans foireux et leurs gueules de déterrés après avoir passé une soirée à faire n'importe quoi jusqu'à pas d'heure.

Et même quand il n'était pas minuit, Sky constatait que leurs conneries étaient toujours présentes. C'était probablement inconscient de sa part mais Elliot semblait faire ressortir un peu le sourire de Whizz et oui, le Fenley était un peu plus immature en sa présence. Ce n'était pas non plus une surprise, à force de traîner avec quelqu'un de sa trempe, il était probable qu'un ou deux neurones se perdent en chemin, entre deux fourches ou trois bières pression au saloon. Et sur le moment, c'était évident qu'aucun des deux idiots de première catégorie n'avait actionné un demi neurone pour suivre une conversation cohérente, mais Sky en souriait. Comme à son habitude. "P'tet pas, c'sûr mais franchement, te foutre la laisse autour du cou et t'entendre aboyer, ça, ça me ferait plaisir, hein, mon p'tit Dingo." Un petit clin d'oeil pour conclure le dialogue et Sky continuait de sourire comme un imbécile heureux. Ce n'était pas si étonnant que les déprimés du coin et les gens de mauvaise foi ne pouvaient pas supporter sa vue, il fallait avouer qu'un type heureux d'être là sans arrêt, c'était un peu frustrant pour ceux qui désiraient vivre dans leur misère, loin du bonheur des autres. "Ca, c'ce qu'on appelle de la mauvaise foi, Whizz. A chaque fois, tu crois que j'm'amuse avec tes produits capillaires là mais si tu t'coupais les cheveux, t'aurais plus besoin de L'Oréal et comme ça j'le confondrais pas avec le Mr Propre. Direct, j'le fais exprès, pff. T'as qu'à t'enlever ton deuxième oeil, tu verras c'que ça fait, va." Mais Sky prononçait ses quelques mots sur le ton de la plaisanterie. Il était clair que deux aveugles sous le même toit, cela deviendrait vite compliqué et de toute évidence, Sky ne souhaitait pas que son meilleur ami subisse le même sort que lui, plutôt l'inverse. S'il avait pu lui filer un oeil en état de marche, Elliot l'aurait probablement fait sans hésiter. En attendant, c'était un peu raté vu qu'ils étaient touchés par le même problème, à des degrés différents mais le résultat était le même, ils étaient des marginaux. Leur plus gros point commun. "Parce qu'en plus, t'es même pas cap' de dire son prénom là... Et beh, vieux, t'es bien plus touché que moi et là j'dois t'dire que j'suis plutôt inquiet pour ta santé mentale déjà pas terrible..." Les femmes, c'était un peu leur fléau. Aucun des deux n'arrivait vraiment à accomplir quelque chose à ce niveau, ils n'étaient pas doués et avec leur caractère, les choses devenaient vite complexes mais Sky ne perdait pas la foi, il espérait que Whizz non plus même si plus les heures passaient, plus il prouvait par son attitude qu'il avait un penchant pour l'homosexualité avancé. Dirty Dancing, vraiment? Un remake? Et c'était Sky qui devait se coltiner le rôle de la nana à l'appareil dentaire à peine visible qui avait pour seul compagnon une pastèque et des pas de danse franchement pas fameux. "Et bah putain, c'pire que c'que j'pensais... T'es atteint par un syndrome Whizz ou quoi? Aujourd'hui , c'Dirty Dancing et demain, ce sera quoi? Titanic? Tu vas t'la jouer Jack Dawson avec moi, c'ça? J't'ai pas déjà dit que ton crush sur moi rendrait rien sur la longueur... On est trop différents, mec, j'suis désolé." Oui, Sky se foutait de sa gueule, c'était son petit plaisir personnel dans cette vie qui ne lui avait pas toujours fait de cadeaux. Après cela, Sky s'occupa de l'impatience du cheval et à vrai dire, il s'apaisait autant que la bête. Comme il partait au quart du tour dans ses délires ou vers le danger, Sky ne réalisait pas toujours qu'il était un brin hyperactif parmi les autres humains. Avec les chevaux, c'était différent, il avait la patience et le tact nécessaires. Et en seulement deux minutes, le silence et les quelques gestes de Sky avaient fait le travail. "J'me ferais jamais buter par un cheval, ils m'adorent tous ici, comme quoi, être aveugle, ça aide dans certains cas. Rares cas." Et le jeune homme était plutôt fier de lui même s'il ne pouvait que s'imaginer le regard pantois de Whizz dans ses souvenirs qui restaient bien nets malgré le concours des années.  "Hors d'question que j'bute un cochon pour du bacon. En plus, tu cuisines comme une merde quand t'es de mauvais poil... Et c'bizarre, t'es tout le temps d'mauvais poil ces temps ci." C’était peut être en rapport avec Trish ou tout ce qui foirait chez les Fenley. Sky ne posait pas de questions, ce qui semblait surprenant en vue de son caractère mais avec Whizz et ses problème,s il restait toujours en retrait. Le blond devait savoir que s'l avait besoin, Sky serait là, toujours là, probablement trop là même. "Ca prend trop d'place un cheval et ça m'aide pas tellement quand j'me rate ici alors bon... J'pense qu'on va rester sur Sky l'aveugle sans aide s'tu veux bien." Son indépendance, il la voulait à tout prix. Et il se mit à siffloter en tapotant l'encolure du cheval, se demandant bien pourquoi Whizz semblait marcher plus discrètement et surtout, il arrêtait de parler. Encore une embrouille, purée. "Tu fous quoi là derrière? Tu m'fais un sale plan ou tu t'fais un cache-cache pour l'fun là? Pas sûr qu'il obtiendrait uen réponse mais cela valait le coup d'essayer. Finalement, les deux hommes et l'animal s'étaient éloignés de l'écurie et en vue de la force du vent, ils devaient avoir atteint de plus grands espaces. Le circuit des Fenley. L'endroit même où il s'était déjà perdu il n'y avait pas si longtemps encore. "T'sais Whizz, j'ai réfléchi et j'me suis dit que comme t'es un cas désespéré, que moi j'suis un aveugle qui fait un peu pitié, j'pense que ce serait bien qu'on s'bute si on est pas mariés à nos trente ans, t'en penses quoi?" Il n'y avait que lui pour avoir des idées pareilles mais Sky s'arrêta sur la route, se tournant vers son ami, sourire aux lèvres alors qu'il venait de sonner un peu désespéré deux secondes auparavant.